N'en déplaise à notre confère, en 2013 l'économie a changé radicalement de visage et chacun devient expert à faire dire aux chiffres ce qu'il veut. D'une part, parce qu'il faut opposer la durée annuelle moyenne de travail où la France est au 7ème rang mondial, à la productivité horaire hebdomadaire où la France se situe au 3ème rang mondial derrière la Norvège et les Etats-Unis. La productivité française est donc l'une des plus élevées au monde. Les Français travaillent environ 1500 heures par an pour un revenu annuel par tête de 36.500 dollars quand les Américains travaillent 1800 heures par an pour un revenu annuel par tête de 44.150 dollars par an.
D'autre part, parce que tenir un tel discours par ces temps épouvantables et terrifiants de chômage et de souffrance au travail, est une insulte à ceux qui ne demandent rien tant que de travailler et de bien travailler. Dire aux français qu'ils sont paresseux, c'est comme asséner à un gamin qu'il est irrémédiablement méchant ou mauvais en classe. C'est une guillotine qui tombe comme un couperet. Comment dans ces conditions redonner un tant soit peu d'espoir à des millions de travailleurs salariés en souffrance qui ont le sentiment que ce qu'ils font n'est ni jamais suffisamment bien, ni jamais suffisamment assez ? Et les Français d'avoir été publiquement accusés par la lettre du PDG américain du fabricant de pneus Titans International. Dans sa lettre adressée fin février à Arnaud Montebourg, Maurice Taylor évoque "ces salariés français qui ont une heure pour leurs pauses et leurs déjeuners, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures". La méthode de Taylor, surnommée le "grizz" en référence au grizzly, n'est pourtant pas aussi exemplaire. Et sa critique n'est pas justifiée. Les Français produisent 25 dollars par heure travaillée quand les américains produisent 24,60 dollars. Ce chiffre suggère que nos ouvriers ne sont pas systématiquement en train de faire une pause.
A ces arguments psychosociologiques, il faut ajouter en guise de chiffres qu'avec seulement 3,7 jours perdus par an pour cause de grève dans le secteur privé les Français sont loin d'être les plus grévistes. On est même derrière les Etats-Unis ou le Royaume-Uni (IMD 2008). Le taux d'absentéisme ne cesse de reculer depuis 2007 avec 3,84% par ce qui fait seulement 14 jours seulement (Alma Consulting 2012). Notre pays est la troisième destination mondiale des investissements directs étrangers (AFII). Les Etats-Unis et l'Allemagne sont les premiers à choisir la France. Et seuls 3% des chercheurs s'expatrient hors de France, il s'agit du plus faible taux d'Europe. Enfin, une étude Regus de 2011 révèle que 50% des Français travaillent plus de 9 heures par jour et 83% d'entre eux emportent du travail à la maison. Ce taux grimpe pour les salariés des PME, soit la majorité des entreprises.
Des français épuisés... par la peur du chômage
Alors non les Français ne sont pas particulièrement paresseux...mais épuisés. L'intensification du travail et la précarité des situations créent chez nombre de salariés un état de stress préoccupant, au point que le Conseil Economique et social a décidé d'en faire un enjeu de santé publique. "Un être humain ne peut pas tenir les rythmes en étant en état de crise de nerf permanent" souligne Marie Pezé auteur de "ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés". Psychologue clinicienne et psychanalyste, cette spécialiste de la souffrance au travail relève dans ses consultations un nombre croissant de salariés paniqués à l'idée de perdre leur emploi. Quant à la sociologue et directrice de recherche au CNRS, Danièle Linhart, elle évoque le concept de « précarité subjective ». Un état entretenu par les techniques actuelles du management, qui cherchent à déstabiliser, à mettre le salarié dans une situation inconfortable. Plutôt que de dénoncer la pseudo-paresse hexagonale, il faudrait veiller à faire passer des messages bienveillants et rassurants comme ceux qui veillent à féliciter et à reconnaître plutôt que de fustiger.
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