TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

samedi 1 juin 2013

Paresseux les Français ? Simplement épuisés!


Haro sur le "French bashing" ou cette hexagonale manie d'autodénigrement systématique. A force d'asséner aux Français qu'ils sont cossards, peu autonomes et qu'ils ne prennent pas leurs responsabilités, on épuise le peu d'énergie qu'il leur reste... pour bien travailler.
Il y a quelques semaines Le Point titrait en couverture "Les Français sont-ils paresseux"? Et l'hebdomadaire d'y répondre chiffres à l'appui que les "français travaillent en moyenne annuelle moins que leurs voisins européens. Retraite à 60 ans, 35 heures et privilèges catégoriels aberrants...encore une exception française qui plombe l'économie". Autrement dit, la rengaine est toujours la même : nous sommes des cossards et finalement si notre économie se porte aussi mal c'est parce que vous et moi nous nous tournons un peu trop souvent les pouces. L'article débute même avec une citation de Victor Hugo de 1848 "la monarchie avait les oisifs, la République aura les fainéants". Comme une sorte de prophétie auto-réalisatrice.

N'en déplaise à notre confère, en 2013 l'économie a changé radicalement de visage et chacun devient expert à faire dire aux chiffres ce qu'il veut. D'une part, parce qu'il faut opposer la durée annuelle moyenne de travail où la France est au 7ème rang mondial, à la productivité horaire hebdomadaire où la France se situe au 3ème rang mondial derrière la Norvège et les Etats-Unis. La productivité française est donc l'une des plus élevées au monde. Les Français travaillent environ 1500 heures par an pour un revenu annuel par tête de 36.500 dollars quand les Américains travaillent 1800 heures par an pour un revenu annuel par tête de 44.150 dollars par an.
La France détient le record de burn-out
D'autre part, parce que tenir un tel discours par ces temps épouvantables et terrifiants de chômage et de souffrance au travail, est une insulte à ceux qui ne demandent rien tant que de travailler et de bien travailler. Dire aux français qu'ils sont paresseux, c'est comme asséner à un gamin qu'il est irrémédiablement méchant ou mauvais en classe. C'est une guillotine qui tombe comme un couperet. Comment dans ces conditions redonner un tant soit peu d'espoir à des millions de travailleurs salariés en souffrance qui ont le sentiment que ce qu'ils font n'est ni jamais suffisamment bien, ni jamais suffisamment assez ? Et les Français d'avoir été publiquement accusés par la lettre du PDG américain du fabricant de pneus Titans International. Dans sa lettre adressée fin février à Arnaud Montebourg, Maurice Taylor évoque "ces salariés français qui ont une heure pour leurs pauses et leurs déjeuners, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures". La méthode de Taylor, surnommée le "grizz" en référence au grizzly, n'est pourtant pas aussi exemplaire. Et sa critique n'est pas justifiée. Les Français produisent 25 dollars par heure travaillée quand les américains produisent 24,60 dollars. Ce chiffre suggère que nos ouvriers ne sont pas systématiquement en train de faire une pause.
Le travail est un générateur de liens sociaux
Faut-il le rappeler ? Les Français détiennent le triste score d'un des taux mondiaux de burn out et de stress les plus élevés. Pourquoi ? Parce qu'ils sont parmi les plus engagés et les plus soucieux dans l'envie de faire du bon travail. Alors, oui, ils discutent. Mais souvent de leur job, de comment le faire mieux ou du comment on leur empêche de le réaliser aussi correctement qu'ils le souhaiteraient. Oui, ils discutent, parce que le travail est un créateur et un générateur de liens sociaux. Oui, ils font grève parce qu'ils défendent des communautés de travailleurs, leurs collègues et amis. Non, ils ne sont pas paresseux mais très affectifs et craignent, non pas que le ciel leur tombe sur la tête, mais de perdre leur travail.

A ces arguments psychosociologiques, il faut ajouter en guise de chiffres qu'avec seulement 3,7 jours perdus par an pour cause de grève dans le secteur privé les Français sont loin d'être les plus grévistes. On est même derrière les Etats-Unis ou le Royaume-Uni (IMD 2008). Le taux d'absentéisme ne cesse de reculer depuis 2007 avec 3,84% par ce qui fait seulement 14 jours seulement (Alma Consulting 2012). Notre pays est la troisième destination mondiale des investissements directs étrangers (AFII). Les Etats-Unis et l'Allemagne sont les premiers à choisir la France. Et seuls 3% des chercheurs s'expatrient hors de France, il s'agit du plus faible taux d'Europe. Enfin, une étude Regus de 2011 révèle que 50% des Français travaillent plus de 9 heures par jour et 83% d'entre eux emportent du travail à la maison. Ce taux grimpe pour les salariés des PME, soit la majorité des entreprises.

Des français épuisés... par la peur du chômage
Alors non les Français ne sont pas particulièrement paresseux...mais épuisés. L'intensification du travail et la précarité des situations créent chez nombre de salariés un état de stress préoccupant, au point que le Conseil Economique et social a décidé d'en faire un enjeu de santé publique. "Un être humain ne peut pas tenir les rythmes en étant en état de crise de nerf permanent" souligne Marie Pezé auteur de "ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés". Psychologue clinicienne et psychanalyste, cette spécialiste de la souffrance au travail relève dans ses consultations un nombre croissant de salariés paniqués à l'idée de perdre leur emploi. Quant à la sociologue et directrice de recherche au CNRS, Danièle Linhart, elle évoque le concept de « précarité subjective ». Un état entretenu par les techniques actuelles du management, qui cherchent à déstabiliser, à mettre le salarié dans une situation inconfortable. Plutôt que de dénoncer la pseudo-paresse hexagonale, il faudrait veiller à faire passer des messages bienveillants et rassurants comme ceux qui veillent à féliciter et à reconnaître plutôt que de fustiger.
La viscosité du marché du travail et l'incapacité des salariés à se projeter qui en découle, appellent un changement de posture de la part des organisations. Le "soyez acteur de votre carrière" sonne comme une injonction paradoxale à l'heure où le système ne donne plus à l'individu les moyens de son autonomie. Désormais, comme dans une agriculture raisonnée, il faut aider à prendre soin des collaborateurs. Non pas par une démarche "psychologisante" mais concrète et centrée sur le travail, faite d'attention et de valorisation de la part du management, de solidarité (travailler ensemble) et de capacité à donner des signes de reconnaissance mais aussi de l'information : partage des enjeux, des difficultés, débat autour du comment on travaille ensemble et surtout du pourquoi on agit ainsi.
La démarche des petits pas responsables
C'est dans ce "pourquoi" que les objectifs pourront être partagés et la confiance nourrie. Mais c'est aussi dans la capacité à élaborer des propos autour des dysfonctionnements. Enfin, comme dans la démarche écologique des petits pas responsables, il s'agit de s'appliquer à soi-même, entre collègues une bienveillance quotidienne. Vous savez la fameuse blague lancée à celui ou celle qui court à 18h chercher son enfant à la crèche "tu prends ton après-midi?" qui n'est rien d'autre qu'une mauvaise graine plantée dans un sol déjà surchargé en culpabilité.
De simples maladresses comme celles-ci aux changements imposés d'en haut sans concertation aucune, à ces couvertures de magazine accusatrices, ce sont tous ces champs qu'il faut veiller à cultiver autrement. "Nous pouvons manger bio, recycler notre eau, nous chauffer solaire et...exploiter notre prochain. Ce n'est pas incompatible", constate Pierre Rabhi dans son "Manifeste pour la Terre et l'Humanisme" (Poche Actes sud). "Seul le changement par l'éveil de la conscience nous sauvera", conclut-il. A condition de mutualiser nos efforts. Et de refuser les étiquettes inappropriées. 

0 commentaires: