L’homme sans divertissement
Un président doit-il être cultivé ? Il n’est pas un discours entendu ces jours-ci sans citation ni hommage dans le style du Lagarde et Michard.
Ces discours, les candidats qui les prononcent ne les ont pas écrits,
comme la plupart d’entre eux n’ont pas lu les Jaurès, Camus ou Michelet
dont cette campagne nous abreuve.
Peut-être en gardent-ils un vague souvenir du lycée. Ils ne s’en
croient pas moins obligés de nous jurer qu’ils ne partent jamais en
vacances sans l’intégrale de Proust. Qu’on les trouve généralement dans
un coin, penchés sur le dernier Spinoza dès qu’ils ont un moment de
loisir. C’est une particularité française. En Grande-Bretagne, passer
pour intelligent est déjà suspect mais un ministre cultivé, personne ne
lui fera confiance. Aux États-Unis, les présidents peuvent aimer
l’histoire, mais pour le reste mieux vaut s’en tenir au golf. En
Allemagne, la musique de chambre, la lecture et les musées sont
considérés comme des activités privées dont il serait outrageant de
faire état en public. En Italie, personne n’en parle parce que tout le
monde est cultivé. Non, il n’y a qu’en France que les hommes politiques
se tuent à faire semblant pour imiter leurs prédécesseurs.
Nous aurons tout de même appris que François Hollande ne lit jamais de romans.
On
s’en doutait. Qu’il se rassure, ce candidat sans divertissement, son
rival non plus. M. Sarkozy a beau disposer sur son bureau les titres les
plus accrocheurs et réciter par coeur les Cahiers du cinéma, il
restera l’homme qui a renvoyé la princesse de Clèves aux poubelles de
l’histoire. Et c’était mieux ainsi. Il y avait quelque chose de
sympathique chez cet homme qui ne craignait pas de révéler que lire lui
cassait les pieds. J’avoue que je ne l’ai pas vu sans regret
s’appliquer, comme Jacques Chirac en son temps, à rejoindre le général
de Gaulle et François Mitterrand à l’étage supérieur des présidents
nourris de littérature, d’histoire et de géographie. Notez que Chirac
avait astucieusement choisi les arts primitifs, qu’il devait rebaptiser
arts premiers, parce que l’on pouvait en dire n’importe quoi ; c’était
une science neuve qu’il n’y avait qu’à inventer. Son successeur en
choisissant les lettres est obligé de reprendre tout le programme du
Moyen Âge à nos jours, d’aller en une heure de Christine de Pisan à
Michel Houellebecq, puisqu’on l’apprend dans les écoles. Je comprends
Hollande qui s’est affranchi du roman et ne cite que des philosophes du
XVIIIe siècle. Avec ces grands bavards, on peut affronter n’importe
quelle campagne électorale.
Tout de même, aucun roman c’est beaucoup.
Le général de Gaulle adorait Henry Bordeaux, Georges Pompidou l’
Aurélien d’Aragon,
Valéry Giscard d’Estaing les odeurs mouillées de Maupassant. Et Roger
Nimier, dont ce sera bientôt le cinquantenaire de la mort, en a fait le
Robert de Cheverny des
Enfants tristes.
J’ignore quel romancier pourrait faire un personnage de François Hollande. Il décourage le talent.
Et pourtant, qu’il est français ! Je le verrais bien chez un de ces
romanciers de la IVe République qui écrivaient des livres solides et
documentés. Chez Maurice Druon par exemple. Dans la suite des Grandes Familles : la Chute des corps et Rendez-vous aux enfers.
C’était excellent dans le genre. Tandis que Nicolas Sarkozy est
nettement plus contemporain. Je ne citerai pas de nom d’auteur. Il n’y a
que l’embarras du choix. Vous voyez ce que je veux dire, et j’en ai
déjà trop dit. On va bientôt remettre les prix littéraires de printemps
et il y a assez de compétition comme ça. N’en rajoutons pas avec de la
politique. Quoiqu’il me semble que du côté des écrivains, la réserve est
de mise. On voit les cultureux, les fonctionnaires à tempérament, les
habitués des postes faire leur cour aux socialistes après avoir lâché
les libéraux. C’est bien normal. C’est de jobs qu’il s’agit.
Depuis Chirac, et tant d’exemples me montent aux lèvres de délégués à
ceci ou membres de cela, le train passe tous les cinq ans et il faut se
dépêcher de monter dedans, surtout qu’avec l’austérité qui vient, les
places seront rares. Mais les écrivains, l’avez-vous remarqué, se
taisent. Ceux qui sont allés déjeuner chez le président Sarkozy
s’empressent de le faire oublier, un peu vite peut-être. Les autres sont
ailleurs. Les présidents ne les impressionnent plus. C’est notre
première élection sans littérature.
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