Comme souvent, ce soir-là, Nicolas Sarkozy n'a pas fait dans la demi-mesure. Lors de son intervention, retransmise simultanément sur dix chaînes de télévision, dimanche 29 janvier, le président de la République annonçait son intention d'augmenter de 30 % les droits à construire sur "tout terrain, toute maison, tout immeuble". "Cela va donner un travail formidable à toute l'industrie du bâtiment, expliquait-il. Deuxièmement, cela va augmenter considérablement le nombre de logements, donc cela fera pression sur les prix. Et enfin les prix de l'immobilier à l'achat, à la vente, et les prix à la location vont pouvoir baisser."
Martingale immobilière propre à satisfaire tout le monde ? Avant d'être adopté le 22 février par l'Assemblée nationale, le projet de loi a déclenché l'hostilité d'une grande partie du secteur. Les promoteurs promettent une flambée du prix des terrains, les agents immobiliers redoutent une désorganisation du marché, les constructeurs de logements sociaux s'estiment oubliés. Quant aux maires, chargés d'instruire les permis de construire et d'établir les plans locaux d'urbanisme, ils voient leurs pouvoirs entaillés par le nouveau texte.Densifier : le grand mot est lâché. Il y a dix ans, le terme aurait fait hurler le pays à l'unisson. A l'exception de quelques urbanistes, chacun réclamait "de l'air". Créer des espaces verts dans les villes, abattre des tours dans les banlieues, fluidifier la circulation pour rapprocher les périphéries du centre, étendre les bourgs... "Aujourd'hui, chacun constate les ravages du paradoxe français qui veut que l'on consomme plus d'espace que tous nos voisins mais que l'on manque toujours cruellement de logements, explique le paysagiste Bertrand Folléa. On "artificialise" 60 000 à 70 000 hectares chaque année, essentiellement des terres agricoles. Cela correspond à un département français tous les sept à dix ans. Par comparaison, l'Allemagne consomme 20 000 à 30 000 hectares. Les Français voulaient des maisons individuelles ? On a fait le choix de l'étalement urbain, en oubliant que l'espace était une ressource non renouvelable."
Pour comprendre comment on en est arrivé là, Bertrand Folléa avance plusieurs explications. D'abord, "le mythe du petit château" : "On a voulu démocratiser le modèle bourgeois sans voir qu'en changeant d'échelle, on changeait de modèle." Puis la poursuite d'une organisation urbaine héritée du Moyen Age. "Des centre-villages très denses, très lisibles, et autour les terres agricoles qui nourrissaient les hommes. Quand l'agriculture est devenue moins essentielle, on a construit sur ces terrains de façon peu dense..."
Michel Lussault, professeur de géographie urbaine à l'Ecole normale supérieure de Lyon, va plus loin, et pointe la "culture urbano-sceptique nationale et la mythologie campagnarde". "En Italie, la città est partout. La plus petite des cités est urbaine. En France, c'est l'inverse, même certaines grandes villes sont campagnardes. Tout est "villageoïsé". Regardez nos présidents, tous ou presque ont mis en avant leur attache villageoise."
Son collègue de l'ENS, l'historien Jean-Luc Pinol, ajoute la dimension "mortifère" longtemps associée aux villes : "La densité provoquait la transmission des miasmes, on enviait Londres avec ses maisons de trois étages parce qu'elle était moins dense que Paris. D'ailleurs, au cours du XXe siècle, la population parisienne n'a fait que diminuer, passant d'environ 3 millions à 2 millions d'habitants. D'abord entre les deux guerres, où l'on a construit des pavillons dans la petite couronne, souvent à faible prix. Puis avec l'édification des cités-dortoirs et des grands ensembles. Enfin avec les lotissements bâtis hors des villes."
Un paysage réaménagé pour et par la voiture. Avec d'abord le réseau routier. Ce maillage de voies rapides qui, selon Charles Pasqua, ministre de l'aménagement du territoire entre 1986 et 1988, allait mettre "tout à moins de vingt minutes d'une autoroute". Puis la maison individuelle, qui depuis trente ans représente les deux tiers des logements construits. "Les grands ensembles avaient échoué, mais les maires avaient besoin de sauver les écoles et les services. Alors on a construit des lotissements, des sortes de grands ensembles à plat, monofonctionnels. Les parents conduisent leurs enfants à l'école en voiture, la prennent pour aller chercher le pain. C'est anti-écologique au possible, mais on est près de la nature... Tout ça avec la bénédiction des pouvoirs publics qui voulaient se désengager du logement collectif."
Troisième maillon de la chaîne, la grande distribution. Les terrains étaient bon marché, le bassin de population avait crû : "Les grandes enseignes ont saisi l'occasion, nourries par une conviction venue des Etats-Unis : no parking, no business. Et ils ont calibré le parking pour le samedi après-midi de Noël. Avec les rocades de contournement, la grande surface est effectivement accessible de partout. On tue ainsi les centres-bourgs, on défigure les entrées des villes, on pousse à la construction de nouvelles maisons qui attireront de nouvelles grandes surfaces. Un cercle vicieux mais qui satisfait beaucoup de monde. Y compris les paysans, car un terrain agricole qui devient constructible voit sa valeur exploser. Et c'est vrai partout en France." Schéma, cartes et photos à l'appui, David Mangin démontre ainsi comment, des alentours de Dinan, en Bretagne, à ceux de Chalon-sur-Saône, en Bourgogne, entre les années 1960 et les années 1990, le rural a fait place au rurbain.
L'urbaniste Philippe Panerai poursuit : "Les Hollandais ou les Anglais ont fait eux aussi le choix de la maison individuelle, mais avec une autre histoire, une autre organisation. Les Hollandais, qui avaient gagné leur terrain sur la mer, ne pouvaient pas le gaspiller ; les Anglais disposaient d'un produit industriel, rationnel, typé, et n'étaient pas propriétaires de leur terre. Les maisons ont donc été placées côte à côte, avec des jardins derrière, une solution beaucoup plus économe en espace."
Economiser l'espace. Longtemps inaudible en France, cette idée a peu à peu fait son chemin. Dans les travaux des chercheurs et les réflexions des paysagistes, d'abord. Puis, depuis dix ans, dans les lieux de débats institutionnalisés, comme le Grenelle de l'environnement ou lors de la compétition sur le Grand Paris. "On a pris conscience du coût économique, social, environnemental de l'étalement urbain, analyse Jean Attali. En termes de mobilité, de saturation des transports collectifs, d'embouteillages, de dégâts environnementaux. Les habitants eux-mêmes, qui rêvaient d'un mode de vie meilleur, proche de la nature, en perçoivent aujourd'hui les nuisances."
Vincent Renard abonde dans ce sens: "On a subi le contrecoup de la politique des grands ensembles, pas encore celui des lotissements. Mais avec la crise économique et l'augmentation du prix de l'essence, qui n'en est qu'à ses débuts, le piège est en train de se refermer. Et certains commencent à le voir." "Surtout, la hausse des prix a figé le système et touche maintenant tout le monde, dit dans un sourire David Mangin. Tant que les pauvres étaient les seuls à en souffrir, rien ne se passait. Aujourd'hui, même les cadres supérieurs ont du mal à loger leurs enfants. Appelons ça une prise de conscience..."
Tous semblent toutefois partager dorénavant une conviction, presque un mot d'ordre : il faut densifier. Densifier les centres-villes, même si les terrains à bâtir manquent cruellement. Des usines, des casernes, des hôpitaux trouvent alors de nouvelles fonctions. "Il y a vingt ans, la biscuiterie Lu de Nantes aurait été rasée, constate l'écrivain Jean-Christophe Bailly, professeur à l'Ecole nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois. A la place, on aurait construit un parking ou un supermarché. Au mieux un espace vert. La municipalité a choisi d'en faire un pôle artistique, Le Lieu unique. Comme quoi tout n'est pas perdu." Densifier les grands ensembles aussi, "car, contrairement aux idées reçues, les grands ensembles sont peu denses du fait des règles d'espacement entre les bâtiments, des parkings, des pseudo-espaces verts", poursuit Jean-Christophe Bailly.
Plutôt que céder à la mode de la destruction pure et simple de tours ou de barres, urbanistes et architectes proposent de les remplacer par des unités plus petites, d'y adjoindre des commerces, d'y ramener des professions libérales. Rennes, Grenoble ou Strasbourg ont emprunté ce chemin. Densifier en déqualifiant des voies rapides en villes pour libérer du foncier, ou en profitant de nouvelles techniques plus sûres pour construire en zone inondable. "Mais rien n'est simple, avertit David Mangin. Le hangar que vous voulez détruire pour créer des logements peut cacher la seule entreprise innovante de la ville. Ce sont toujours des opérations complexes, délicates, longues, qui imposent de négocier."
Pourtant, presque tous reconnaissent à la proposition deux mérites : celui de mettre le doigt sur un des maux de notre époque, ce que le géographe Michel Lussault nomme "la procéduralisation de la ville", ce maquis de lois, de règlements, de contraintes qui finit par étouffer toute dynamique urbaine. Et également celui de poser les questions du rôle des individus ordinaires dans la fabrique de la cité. De leur capacité à inventer ce qui, un ou deux siècles plus tard, apparaîtra comme pittoresque. Mais aussi de leur droit à penser, à concevoir, à décider de leur mode d'habitat.
Et Michel Lussault de poursuivre : "La ville-réseau hier, la ville durable, densifiée et décarbonée aujourd'hui, tout ça, ce sont des modèles faits sans les habitants. N'oublions jamais qu'avec leurs pieds, avec les roues de leur automobile et avec la bénédiction des autorités, les Français ont choisi la ville peu dense. Pas seulement par refus de la mixité sociale, mais aussi par rejet des nuisances de la densité mal maîtrisée. Pour réussir aujourd'hui une densification qui ne soit pas vécue comme une souffrance, il faut repenser les formes architecturales." La tour Bois-le-Prêtre, à Paris (dans le 17e arrondissement), réhabilitée par Lacaton et Vassal, prouve selon lui que l'objectif peut être atteint. Mais il se veut plus ambitieux encore. Il invite architectes, urbanistes, sociologues, juristes et économistes à changer de nature : "Qu'ils ne se vivent plus comme des dompteurs qui descendent dans l'arène expliquer aux fauves qu'ils ont tort de rugir, mais comme des accoucheurs de la co-construction."
Autrement dit, "il faut revoir les formes de démocratie urbaine. Pas cette démocratie participative devenue le cache-sexe de notre impuissance à faire évoluer la ville. Non, c'est l'ensemble de la procédure qu'il faut reprendre, y compris les permis de construire et les plans locaux d'urbanisme. Ça se fait dans les sociétés à faible encadrement par les pouvoirs publics, les bidonvilles d'Inde ou d'Amérique du Sud, ou dans une ville comme Seattle, aux Etats-Unis. Ça se fait dans des pays à traditions démocratiques différentes comme la Suisse ou la Scandinavie." Un projet pour un candidat à l'élection présidentielle ? "Plutôt un projet pour le siècle", conclut dans un sourire l'universitaire.
1 commentaires:
Excellent article qui me donnerait presque envie de vivre en ville. Presque, parce que je vis à 3km de Paris et je trouve la qualité de vie médiocre. Pollution intense, bruit, suractivité et surtout 6,000 à 8,000€ le m². Alors oui, il y a des aménagements agréables, bien faits qui donne envie mais pour 400,000€ j'ai un pavillon à 30km avec jardin et calme. Ici c'est un 90m² sur route sur-fréquentée sans parking. Et surtout, on est maître de rien, des bouchons totalement aléatoires aux RER en retard. Alors c'est beau d'avoir le commerce à proximité, l'école, les lignes de bus, de métro, de train, de tram, tout à moins de 10 mn... cela me fait fuir! On aura toujours besoin de sa voiture car on ne peut pas tout se faire livrer, même si je reconnais que malgré tout avoir à portée. je sors Mille fois moins qu'en province. Pas envie car compliqué, poussage, irrespect des passants stressés, des passagers des bus qui vous poussent sans vous regarder, des files d'attente ou comme en voiture, on te passe devant toujours sans regarder avec un sourire dans le coin. Sans compter les scooter qui passent au rouge dans la plus grande normalité, cigarette à la main.
La ville selon moi ? rien de mieux pour individualiser, laisser sur le carreau dans des apparts insalubres des personnes âgées ou familles avec enfants car pour ces derniers tout transport en commun devient plus cher que la voiture, même à 2€ le litre ! et sans parler de la complication d'un aménagement uniquement prévu pour des personnes de taille adulte avec la totalité de leurs moyens.
La ville ? le royaume de l'intolérance, de l'ignorance, de l'irrespect, de la compétition du "moi d'abord". Voilà pourquoi les beaux espaces sont dégradés en valeur avant de songer m'y installer. Le mal n'est pas dans la densification ou l'aménagement, il est dans la mentalité, est-ce aussi une partie du mal français. Et ce n'est pas ainsi que nous favoriserons l'intégration, bien au contraire à l'heure de la guerre entre abattoir et "égorgeoir" !
Nous nous trompons encore une fois de cible !
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