On assiste à un élan des jeunes générations, autour duquel se greffent d’autres catégories de la population. Les enfants de la mondialisation ont vaincu la peur qui paralysait la société tout entière. En Tunisie et en Egypte, des despotes en place depuis longtemps sont chassés du pouvoir.
Il est difficile de prévoir l’avenir du "printemps arabe" et son impact sur la politique. Néanmoins, trop d’observateurs occidentaux se contentent de se demander s’il jouera ou non en faveur des islamistes. La question est révélatrice du manque de confiance dans cette poussée démocratique, ainsi que de nombreuses inquiétudes. Les dictateurs arabes se sont posés en remparts contre les islamistes pour assurer leur légitimité. Mais l’expression "islamisme" est désormais générique. Il faut faire la distinction entre les divers acteurs musulmans, parce que cette formule comprend des démocrates, des conservateurs, mais également des extrémistes et des terroristes… En Turquie, pays qui possède la deuxième armée au sein de l’OTAN, un parti islamiste est au pouvoir.
Le peu d’intérêt de l’Europe pour le "printemps arabe" montre à quel point nos sociétés civiles ne comptent pas peser sur le mouvement démocratique arabe. On peut lire sur une pancarte des manifestants syriens : "Votre silence nous tue". C’est là un message adressé à l’Occident.
L'Occident, entre indifférence et réalisme
Dans le cas de la Syrie, les Occidentaux manifestent une grande apathie. Ce n’est pas seulement une conséquence de la guerre en Libye et de la crise économique. Envers la famille Assad, l’Occident a depuis toujours fait preuve de réalisme. En témoignent les événements à Hama. En 1982, Hafez el-Assad y a fait massacrer environ 20 000 de ses concitoyens (menés par les Frères musulmans). Le carnage a eu lieu dans le silence général. Le réalisme a triomphé face un régime "progressiste", capable de pratiquer une politique internationale habile, sous la protection du parapluie soviétique.La même année, les miliciens chrétiens libanais (avec la complicité de l’armée israélienne) ont tué un millier de Palestiniens dans les camps de Sabra et de Chatila. Dans cette affaire, l’opinion publique, notamment de gauche, s’est mobilisée. Je me souviens d’avoir visité ces camps, et constaté de mes propres yeux l’horreur des destructions. On a ainsi assisté à deux réactions très différentes.
Après 1989, la Syrie, toujours contrôlée par la minorité alaouite, a donné des garanties contre les islamistes. Le régime n’est pas totalement isolé à l’intérieur du pays, il y jouit même d’un consensus. "Les alaouites commandent, mais représentent une garantie pour les minorités", m’a assuré un influent chrétien syrien. C’est ce que pensent les chrétiens, druses et kurdes.
Le consensus est particulièrement évident à Alep, havre de minorités, où vivent des milliers de Kurdes et 300 000 chrétiens. La ville reste calme alors que le pays se révolte. La bourgeoisie sunnite était parvenue à un compromis avec les alaouites. Mais que fera-t-elle à présent, alors que la contestation est partie de la majorité sunnite elle-même ? On ne peut donc pas sous-estimer la réaction du monde chiite (Iran, Irak et Liban), pour lequel la Syrie constitue un carrefour important. Téhéran risque de perdre un allié, proche sur les plans tant religieux que politique — résultat des liens entre la Syrie et les milices libanaises du Hezbollah.
Maintenant, le pouvoir alaouite pense ne pas avoir d’autres solutions que la terreur, s’il ne veut pas perdre le monopole politique et risquer un règlement de comptes. Il tire sur son peuple, majoritairement sunnite. En Egypte, Hosni Moubarak n’a pas tiré sur la population, et le bloc qui le soutenait a compris qu’il a fait son temps.
La proximité crée des responsabilités
Les Syriens comptent-ils sur l’indécision des Occidentaux ? Une grande indifférence règne dans les sociétés civiles européennes, qui font désormais preuve d’inertie face aux graves problèmes survenus hors des frontières nationales. Certes, l’Occident ne peut jouer partout le gendarme des droits de l’homme. Mais la Syrie est proche de l’Europe et d’Israël. La proximité crée des responsabilités. Entre intervention militaire (comme en Libye) et indifférence, il existe une palette d’options pour exercer les responsabilités qui nous incombent : pressions, contacts, recherche de solutions, implication des grands acteurs internationaux, entre autres.Pour l’heure, on ne voit pas comment sortir de la polarisation en Syrie, où un mouvement rassemblant des gens prêts à mourir pour la liberté affronte un pouvoir figé dans la peur et sans avenir, qui joue la carte de la répression. Il faudra construire des scénarios de transition et faire comprendre – avec quelques décisions opportunes – que la logique de la terreur est inacceptable.
Après une décennie de politique internationale dominée par la question islamiste, de nouveaux problèmes ont surgi, mais aussi de nouvelles possibilités. Il faut des critères différents pour interpréter la réalité, et de plus grandes responsabilités politiques. Et ce, certainement de la part des gouvernements, mais également des sociétés civiles et des forces politiques. Ce qui se passe dans le monde arabe et dans le bassin méditerranéen conditionnera les scénarios géopolitiques du XXIe siècle, bien plus que les incendies locaux.
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