Dans quelques années, quand la poussière brûlante de cette affaire aura été essaimée par le vent de l’actualité, quelle image laissera Dominique Strauss-Kahn sur le tapis roulant de l’histoire? Elle ne lui appartient déjà plus, ballottée et emportée par les emballements de l’information. Mise en scène par les chaînes de télévision comme un suspense haletant, la séquence d’hier soir, au tribunal de New York, après celle de lundi soir, imprimera sans doute pour longtemps notre imaginaire politique. Forte, tellement plus forte, en effet, que celles du cinéma américain qui a si souvent choisi les prétoires pour être des chambres de vérité où au terme d’un long combat tombent les masques et se révèle l’âme des hommes.
Dans cette autre dimension, l’inculpation de l’ancien favori pour la présidentielle de 2012 a déjà débordé largement du champ judiciaire pour envahir la sphère de la société toute entière. Elle questionne et passionne tous les citoyens sur un sujet essentiel: le statut des puissants... et le respect des petits qui peuvent ici trouver leur revanche. Tout se fond dans un incroyable bouillonnement médiatique, comme sur la scène de l’hallucinant plateau de France 2 où les digues habituelles du débat ont cédé, libérant pêle-mêle la passion et la raison, l’émotion et la justice, le droit et l’amitié, la fidélité et le ressentiment. Au point de brouiller toutes les pistes dans un affrontement confus des convictions personnelles et de la morale.
Troublant, le soulagement avec lequel a été accueillie la remise en liberté de DSK, assortie d’une assignation à résidence, suffit à montrer que la réflexion s’est peu à peu déplacée vers le sentiment. On a salué un peu trop bruyamment une «victoire» de la défense, comme s’il s’agissait déjà du premier round d’un match de boxe. En cela, les télés hexagonales sont déjà rentrées dans le jeu et la logique de la justice américaine. Mais qu’y a-t-il à gagner? Qu’y a-t-il à perdre, sinon la crédibilité de la victime présumée, désormais dans les cordes. Tant pis pour elle, n’est-ce pas? Si elle a osé s’en prendre à une personnalité mondiale, elle devra prouver qu’elle a été agressée, même si les éléments du dossier plaident plus que raisonnablement en sa faveur. Elle subit une double peine en quelque sorte, mais qui s’en soucie?
DSK, lui, a obtenu un répit qui préserve sa dignité et lui permet de défendre l’innocence qu’il proclame. Rien de plus, rien de moins. Le voilà héros malgré lui d’un scénario qui le dépasse totalement et l’emporte dans une aventure tragique qui, seule sans doute, marquera le souvenir qu’il laissera à la postérité. En France, les sondages pour la présidentielle sont déjà insensibles à sa chute. Il n’y a pas, décidément, d’homme providentiel. Ce n’était qu’un fantasme.
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