TOUT EST DIT

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jeudi 21 avril 2011

Quel avenir pour les révolutions arabes ?


Qui aurait pu prédire que l'immolation par le feu de Mohammed Bouazizi, un jeune Tunisien de 26 ans, en signe de protestation contre la confiscation de sa charrette par la police de Sidi Bouzid, dans le centre du pays, serait l'étincelle qui allait aboutir à un bouleversement majeur dans le monde arabe ? Que de Marrakech à Bahreïn, en passant par la Tunisie, l'Égypte, la Libye, le Yémen, la Jordanie, la Syrie, Oman et même le « démocratique » Irak, se verraient emportés par la tourmente ?

Le défi est maintenant de construire des États de droit et de réussir la révolution économique.

La chute du régime de Ben Ali en Tunisie, suivie de celle de Moubarak en Égypte, le coeur du monde arabe, sonne la fin imminente d'un ordre qui remonte aux années 1960. C'est surtout la forme du mouvement qui a surpris : un mouvement de jeunes, qu'aucun parti, aucune association ne peut se targuer d'avoir préparé et encore moins dirigé.

La vague s'est formée sans dirigeant (une première dans le monde arabe) et, pourtant, elle témoigne d'une unité incroyable dans les mots d'ordre : liberté, dignité, fin de l'autocratie, refus de la corruption, du népotisme, refus de la misère sociale, du chômage. Incroyable aussi, le degré de responsabilité : sans organisation, les immenses manifestations de la place Tahrir au Caire ont été pacifiques, sans débordements, avec des mots d'ordre consensuels.

Sécularisation des sociétés, généralisation de l'enseignement, flambée des prix des denrées alimentaires : ces ingrédients ont trouvé un catalyseur commun dans les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et certains médias dont Al-Jazeera, chaîne satellitaire dirigée depuis le Qatar par un proche des Frères musulmans.

Il faudra une traduction politique à cette société civile inorganisée. Et là, la présence en force des armées arabes, avec un rôle traditionnellement central, semble bien le principal défi. État dans l'État, elles ont acquis des privilèges qu'elles abandonneront difficilement. L'intégration de la mouvance religieuse (islamiste) en est un autre : de sa réalisation ou non dépend le caractère réellement démocratique du changement.

Un autre défi réside dans le renouvellement des élites capables de remplacer celles des régimes autoritaires et de constituer de nouveaux gouvernements : elles sont souvent peu nombreuses et difficiles à identifier, au-delà de quelques porte-parole autoproclamés.

C'est le propre des régimes autoritaires que de ne préparer aucune relève. Leur stratégie du vide a des conséquences pratiques sur le renouvellement du personnel politique. Enfin, derrière la belle unanimité autour de mots d'ordre en apparence consensuels, les différences entre les pays ne tarderont pas à se manifester. Poids des tribus et différences régionales en Libye et au Yémen ; rapports sunnites/chiites à Bahreïn ; relations sunnites/Alaouites en Syrie. En devenant plurielles, les sociétés arabes pourront connaître des logiques d'affrontement que l'on espère pacifiques. Il serait présomptueux de croire que ce vent de liberté va aboutir à l'établissement généralisé de régimes démocratiques.



Pierre-Jean Luizard est Chercheur au GroupeSociétés, Religions, Laïcités (CNRS/EPHE). Auteur de Les sociétés civiles dans le monde musulman (La Découverte) à paraître.

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