Les Grecs vont-ils descendre massivement dans la rue, aujourd'hui, à l'occasion de la grève générale, ou resteront-ils chez eux, davantage préoccupés que mobilisés ? Le signal aura son importance. Car, quoi qu'il advienne, la crise grecque vient d'entrer dans une nouvelle phase : celle du règlement des comptes.
Qui va payer ? Depuis la faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008, la question a pu paraître rhétorique aux yeux d'un bon nombre d'Européens. Cette crise, dont on nous dit qu'elle n'a de précédent que celle de 1929, avait, jusqu'ici, quelque chose de lointain, d'opaque. Comme si, malgré l'augmentation du chômage et les souffrances bien réelles qu'il provoque déjà, les mots dramatisants utilisés par nos dirigeants n'étaient, heureusement, pas en phase avec la réalité perceptible.
Pour les Grecs, ce décalage est maintenant révolu. La crise est là, et bien là. Et, au grand dam des salariés grecs, la réponse à la question aussi. Qui va payer pour les frasques et les trucages de leur classe politique ? Les Grecs. La facture est émise par le FMI et les partenaires de la zone euro. Son montant est colossal. Hausse des impôts, baisse des rémunérations et des prestations sociales. Les économistes appellent cela un remède de cheval. Au quotidien, c'est moins spectaculaire et beaucoup plus triste. C'est le chômage, les restrictions, l'exode des jeunes, plus ou moins diplômés.
On peut aisément comprendre le sentiment d'injustice qui doit assaillir les millions de salariés et de retraités grecs à qui l'on intime de payer la note. Dans un pays où un tiers de l'activité n'est pas fiscalisé, la rancoeur sociale entre acteurs et victimes de cette économie souterraine menace toujours. Si, parallèlement au plan d'austérité qu'il s'apprête à appliquer, le gouvernement grec n'intervient pas pour combattre la corruption et oeuvrer à davantage d'équité fiscale, la bombe sociale restera menaçante.
Au-delà des spécificités grecques, c'est toute l'Europe qui est bien sûr interpellée. Les réflexes nationaux, notamment en Allemagne, ont eu un effet délétère manifeste. Car les mouvements spéculatifs se nourrissent des incongruités de la zone euro et de son manque de gouvernance économique. Après avoir prêté de l'argent aux banques pour éviter leur faillite, les États leur empruntent de l'argent pour prêter, à un taux plus élevé, à un partenaire, la Grèce, au bord de la cessation de paiement. Après avoir privatisé les gains, voici les pertes mutualisées.
Dès lors, on comprend pourquoi la peur de la contagion angoisse les capitales européennes. Contagion des attaques spéculatives sur les maillons faibles. L'Espagne était, hier, la cible privilégiée de ces mouvements. Contagion de la rigueur, inévitable au regard des dettes publiques de tous les pays européens. Contagion en retour des mouvements potentiels de protestation.
Rarement la cohésion européenne aura été mise à si rude épreuve. Dimanche dernier, après la conversion tardive d'Angela Merkel, les Européens ont enfin décidé de faire front commun. C'est une nécessité. Cela doit aussi devenir ¯ ou plutôt redevenir ¯ un projet. Car la solidarité européenne, si mise à mal ces derniers mois, n'est pas seulement un bon sentiment. C'est un mode de fonctionnement. Le sommet de vendredi, à Bruxelles, sera une excellente occasion de tirer les leçons de la crise grecque. À condition de réformer le pacte de stabilité qui accompagna la naissance de l'euro, désormais dépassé.
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