Un professeur raconte son expérience. Comment, dans un lycée à la dérive, il a su donner à ses élèves le goût du grec. La culture classique, instrument de promotion sociale.
C'est une histoire vraie, qui commence mal et finit bien, comme les contes de fées. Pour certains de ses protagonistes, elle tient d'ailleurs du conte de fées. L'histoire, c'est Augustin d'Humières qui la raconte. Issu d'un milieu bourgeois, ce jeune agrégé de lettres classiques, diplômé d'un institut d'études politiques et d'une école d'art dramatique, est nommé dans un lycée des confins de l'Ile-de-France. L'établissement, coincé entre deux axes routiers, une usine et deux cités, accueille une population cosmopolite et défavorisée : les meilleurs élèves fuient ce lycée.
Les premiers chapitres sont tout simplement désespérants. L'auteur décrit un univers scolaire transformé en machine à perdre. Les enseignants, purs produits des IUFM et de la pensée unique, «inventifs et solidaires», semblent s'être donné le mot pour «bâtir le plus mauvais lycée de France». Dans cet établissement expérimental, l'objectif est que l'élève «se sente bien ». A cette fin, il importe de «dialoguer avec lui», de lui faire connaître «ses droits», de «le rendre acteur de son propre savoir». De recul en recul, le corps professoral se donne pour but, non de faire travailler les élèves, mais d'«éviter le conflit» avec eux.
A la suite d'on ne sait quel déclic, le professeur de lettres finit par se rebeller : il décide de prendre le contrepied du discours pédagogique dominant, bien qu'il reconnaisse, en souriant de lui-même, que rien ne le prédisposait à «une carrière de résistant». Augustin d'Humières ne tolère plus les retards en cours (pourtant permis par le règlement), fait apprendre des textes par cœur, et recopier vingt-cinq fois les fautes relevées dans les copies. Résultat : sa classe de première obtient la meilleure moyenne au bac de français, moyenne qui a doublé par rapport à l'année précédente. Les élèves, dès lors, lui marquent de la sympathie. «Finalement, souligne-t-il, pour qu'ils se "sentent bien" au lycée, le mieux était peut-être qu'ils y travaillent.»
L'année suivante, l'enseignant persiste, ce qui lui vaut des ennuis avec l'Inspection académique et ses collègues, qui incriminent des «méthodes pédagogiques d'un autre âge». Au nom de l'intérêt des élèves, d'Humières s'accroche. Et passe à une deuxième phase : l'opération « Mêtis ». Rien à voir avec le métissage, mais avec la mythologie : Mêtis, première épouse de Zeus et mère d'Athéna, est la déesse de la ruse...
Au bac, le grec est une matière à option. Tous les parents savent que les options permettent aux élèves les moins brillants de grignoter quelques points qui leur permettront d'obtenir l'examen. Alors, Augustin d'Humières, lors des journées d'inscription, joue les rabatteurs : il part à la chasse de volontaires pour le grec. «Le jour où je me suis retrouvé devant une classe de quatre-vingts élèves, s'amuse-t-il, j'ai commencé à considérer mon métier d'enseignant d'une façon un peu différente.»
L'expérience est vite concluante. Des élèves qui n'avaient jamais fait de grec, enfants de parents n'en ayant pas même entendu parler, y prennent goût. La langue ancienne, devenue nouvelle, prouve sa capacité à passionner. Pour les plus accrochés, elle constitue une gymnastique de l'esprit, qui les contraint à reprendre les bases du français pour comprendre la grammaire hellénique.
Inès, dont la mère vient du Zaïre et le père du Congo, confie à la journaliste Marion Van Renterghem ce que lui a apporté le grec et le latin appris dans les classes d'Augustin d'Humières : «Quand j'utilise ces mots-là, je vois bien que j'ai un truc en plus. Même moi, je m'en étonne. Je me sens intelligente. Le latin et le grec ont enrichi mon vocabulaire. Pour la culture générale, pour le français, c'est vraiment bien.»
Car le projet Mêtis repose sur l'appui donné au professeur par ses anciens élèves. Certains acceptent d'aller témoigner dans les collèges et les lycées de l'utilité d'apprendre les langues dites mortes, redevenues source de vie.
«Dans l'étrange mélange de familles, de pays, poursuit d'Humières, qui faisait se côtoyer chaque jour la famille polygame, la famille tamoule, la famille salafiste, la famille éclatée, la famille fatiguée, de toute cette diversité qui produisait un mélange absolument détonant, je me disais qu'il y avait peut-être autre chose à tirer qu'une équipe de foot.» Et pourquoi pas une compagnie théâtrale ? Ce sera le dernier axe de Mêtis.
Avec une vingtaine de lycéens, le professeur monte Le Songe d'une nuit d'été. Après Homère, c'est Shakespeare en banlieue. Les débuts sont difficiles, mais les élèves se prennent au jeu. La représentation, donnée devant 450 personnes, au théâtre municipal, sidère professeurs, élèves, parents et proviseurs qui ne reconnaissent pas, sur scène, les jeunes qu'ils côtoient tous les jours. «Le théâtre a changé tous ceux qui y ont participé, certains se sont métamorphosés», observe un comédien qui a aidé Augustin d'Humières.
Depuis longtemps, Jacqueline de Romilly mène croisade pour la sauvegarde des langues anciennes dans l'Education nationale. Elle a félicité les instigateurs de l'opération Mêtis : «J'ai toujours pensé qu'il fallait faire ce que vous faites: donner accès, par les racines mêmes, à notre culture.»
Grâce à Homère et à Shakespeare, Kévin, Salimata, Youssef, Fatima et quelques dizaines d'autres ne sont plus des déracinés : ils sont des héritiers. Gagner un tel pari est donc possible, en banlieue, dans les années 2000. Il n'y faut que la volonté. Et le courage.
Homère et Shakespeare en banlieue, d’Augustin d’Humières et Marion Van Renterghem, Grasset, 198 p., 18 €.
dimanche 27 septembre 2009
Le grec en banlieue, c'est possible
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