jeudi 29 janvier 2015
La Grèce fait basculer l’Europe
La Grèce tombera-t-elle dans la dictature du prolétariat ? Certains peuvent s’en inquiéter – ou s’en réjouir – mais cela semble très peu probable.
Grâce à un système électoral donnant l’avantage au parti arrivé premier aux élections – et probablement conçu à l’époque avec d’autres partis en tête – le mouvement d’extrême-gauche Syriza, crédité de 36,34% des voix, faitmain basse sur 149 postes de députés sur les 300 que compte l’assemblée grecque, à un cheveu de la majorité absolue.
Les sondages qui laissaient entendre un faible écart entre Syriza et Nouvelle démocratie, le parti conservateur d’Antonis Samaras, en sont pour leurs frais ; l’extrême gauche compte quasiment dix points d’avance. Le podium se complète avec Aube Dorée, représenté par 17 députés en obtenant 6,28% des voix malgré des accusations « d’organisation criminelle » dont elle est affublée depuis un an et demi – un qualificatif dont on se demande encore pourquoi il ne s’applique pas à l’intégralité de la classe politique…
La Vouli, le parlement grec, se complète avec To Potami (centriste), 6,05% et 17 députés, les communistes du KKE avec 5,47% et 15 députés, les Grecs indépendants (droite) avec 4,75% et 13 députés et, fermant la marche, le Pasok socialiste. Autrefois tout-puissant, il est réduit à quasiment rien : 4,68% des voix, soit tout juste le quorum pour avoir encore le droit de siéger avec 13 députés.
La participation s’est élevée à 64% : les Grecs n’ont pas boudé les urnes.
Marxiste de la première heure et fan de Che Guevara, Alexis Tsipras, chef de Syriza, a prêté serment comme Premier ministre. La Grèce tombera-t-elle pour autant dans la dictature du prolétariat ? Certains peuvent s’en inquiéter – ou au contraire, s’en réjouir, à la façon de divers partis d’extrême-gauche ailleurs en Europe – mais cela semble très peu probable.
D’un côté, Syriza a un programme assez typique de la gauche utopique, mêlant populisme et incurie économique ; citons par exemple l’introduction d’un nouvel impôt pour les ultra-riches (très original), la hausse du salaire minimum (très original également, et qui poussera encore davantage de Grecs au chômage ou dans le travail au noir), un 13ème mois pour les retraités (mais pas une réévaluation de leurs rentes amputées au nom des mesures d’austérité des précédents gouvernements), la gratuité de l’électricité ou des transports pour certaines catégories sociales, des travaux publics pour relancer l’activité, et ainsi de suite.
Tout cela n’est évidemment pas finançable, mais pousse Syriza à cultiver le principal argument qui a conduit les électeurs à lui donner sa chance : la volonté de renégocier la dette grecque vis-à-vis de ses bailleurs de fonds de la zone euro.
Les Grecs ne tiennent pas à abandonner l’euro, mais l’économie de leur pays étouffe sous le poids de sa dette, encore 177% du PIB aujourd’hui. Il est impensable de continuer pendant des décennies au rythme d’une crise économique continuelle qui fait fuir la population du pays, menace tout investissement et influe jusqu’à sa natalité. La Grèce meurt de ses dettes. Littéralement.
La Grèce n’est pas de gauche. Syriza ne l’a emporté que grâce au scrutin d’électeurs de droite prêts à mettre entre parenthèses leurs valeurs habituelles. Et ces gens l’ont fait simplement parce qu’ils voulaient, absolument, que le gouvernement élu fasse autre chose que ce mélange de soumission et de veulerie face aux exigences de Bruxelles. Les Grecs en ont eu assez d’une rigueur apparemment sans fin, uniquement destinée à préserver l’orthodoxie financière chère à Mme Merkel et aux comptes de l’État allemand. Ils ont estimé qu’ils n’avaient plus rien à perdre.
La Grèce est en faillite, point. La poursuite des « réformes » et de la « rigueur » jusqu’à ce que la dernière entreprise privée du pays rende gorge n’a absolument aucun sens.
Alexis Tsipras a été élu pour organiser une faillite ordonnée.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la faillite n’est ni interdite, ni rare, même à l’échelle d’un pays. Depuis 1830, la Grèce a fait six fois faillite et elle n’est pas la seule. La faillite est un risque contre lequel le prêteur cherche à se prémunir sans jamais le rendre complètement nul ; il peut en tenir compte à travers les taux d’intérêts, l’examen de la situation du débiteur et l’emploi prévu pour les fonds. En dernier recours, si trop de doutes subsistent, il se réserve le droit de refuser la transaction.
En 2012, lors de la dernière faillite grecque, le secteur privé a consenti des pertes de 70% sur la dette grecque. En échange, ses titres ont été repris par des pays de la zone euro au nom de la solidarité entre les membres. Aussi, aujourd’hui, ce ne sont donc plus des banques qui sont menacées, mais essentiellement ces nouveaux créditeurs de la Grèce, les différents États de la zone euro eux-mêmes. Directement. La France, par exemple, est exposée à la dette grecque à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros – personne n’étant en mesure de livrer un montant exact tant les montages financiers sont complexes. Une première estimation, plus ancienne et vraisemblablement incomplète, faisait état d’une addition à hauteur de 40 milliards.
Les dirigeants de la zone euro n’ont que mépris pour la Grèce et sa population. Ils ne s’inquiètent ni de la réputation de la zone euro, ni des cours de la bourse, ni d’un éventuel mauvais exemple sur d’autres pays membres, ni de l’effet sur le bilan comptable des banques commerciales. Ils s’inquiètent avant tout pour leurs propres finances publiques et le gouffre colossal qui s’ouvrira sous leurs pieds si la Grèce renonce à rembourser. Car leurs notes, leur bilan et le financement de leur propre dette en subira les conséquences. Imaginez l’effet d’une simple augmentation de 1% du coût de financement de la dette française…
Alors, tout le monde cherche à s’entendre pour une simple question de survie. Alexis Tsipras ne tient pas à quitter la zone euro mais ne veut plus que le peuple grec soit saigné à blanc simplement parce que la Troïka est incapable de faire face à un défaut de son pays. Les partenaires de la Grèce cherchent à gagner du temps et à négocier leur propre survie tout en surveillant avec inquiétude les regards envieux des autres pays en difficultés de la zone euro. Ils savent très bien qu’ils ne pourront pas sauver tout le monde, qu’ils ne pourront pas aménager les dettes de tout le monde – seulement, partiellement, celles de la Grèce. Encore. Et cela risque de ne pas suffire.
Lors de la prochaine photo de famille des chefs d’États de la zone euro, certains sourires risquent d’être encore plus crispés que d’habitude. Et en l’état il semble bien peu probable que la zone euro finisse l’année sous sa forme actuelle.
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