TOUT EST DIT

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jeudi 29 janvier 2015

Attentats à Paris : le rôle des médias en question

Lors de ces trois journées du 7, 8 et 9 janvier, les spectateurs et lecteurs ont été abreuvés d'informations. Ceux qui le souhaitaient ont pu vivre en direct les événements. Est-ce un progrès ?
Jean-Marie Charon (1) : C'est un état de fait avec lequel il va falloir faire, y compris parce que les médias ne sont plus les seuls à avoir la main. Quelques minutes après l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdodes vidéos et messages ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. La question est plutôt de réfléchir sur la manière de conduire le traitement de ces événements pour les médias, y compris lorsqu'ils sont en traitement en continu. C'est vrai que, là, il y a des problèmes qui se retrouvent de manière récurrente, mais aussi des solutions intéressantes telles que ces live-tweets (sur Le Monde.fr par exemple) où les internautes peuvent questionner les journalistes et obtenir l'état des faits validés et mises en perspective, explications, etc. 
Le soir même de la tuerie de Charlie Hebdo, les noms des terroristes et celui d'un supposé troisième homme circulent sur les réseaux sociaux. Leur reprise par certains médias déclenche l'ire de plusieurs observateurs. Comment concilier dans un monde médiatique la lenteur d'une enquête et l'urgence de l'actualité ?
Il est vrai que le rythme même de l'information en continu pose des problèmes particuliers lors d'événements graves en train de se produire : vacuité de nombre de témoignages, recours à des experts autoproclamés, reprises de rumeurs. Cependant, si la réflexion et la discussion doivent avoir lieu au sein des rédactions, entre journalistes ou dans des lieux de débats comme ce sera le cas lors d'Assises du journalisme au mois de mars à Paris, il ne faut pas non plus oublier d'interroger la question des sources. Les journalistes n'obtiennent pas d'eux-mêmes les noms des présumés terroristes ni le fait qu'il y aurait plusieurs otages. Ici se retrouve la question sensible de la relation entre journalistes spécialisés dans les faits divers ou police-justice et des policiers, des gendarmes, leurs hiérarchies, voire les entourages des ministres de tutelle. Sur de gros faits divers, des procédures ont été trouvées en tâtonnant, après les affaires Grégory, Outreau, etc. Toujours faillibles et à affiner. La même chose doit se produire pour les affaires de terrorisme. 
Quand l'homme caché dans l'imprimerie de Dammartin affirme "j'ai été plutôt chanceux qu'ils n'aient pas été tenus au courant des informations", faisant référence à "certains médias qui apparemment auraient diffusé qu'il y avait un otage caché", difficile de ne pas se remettre en question. Y a-t-il une irresponsabilité médiatique aujourd'hui ?
Il y a incontestablement un problème de compétence et de responsabilité journalistique, à commencer par les hiérarchies. Mais, une fois encore, cette information venait obligatoirement de sources policières, de la gendarmerie ou de politiques, voire des trois à la fois. La tendance des dernières années a souvent été dans nombre de rédactions de privilégier chez les journalistes les qualités d'agilité, de réactivité et de polyvalence, aux dépens de spécialisations. La question s'était déjà posée à propos des traitements des crises des banlieues et continue de se poser d'ailleurs. Sur des sujets aussi sensibles et complexes, les rédactions ne peuvent faire l'économie de spécialiser et former dans la durée des journalistes capables d'anticiper des situations, qui vont se dérouler à un rythme et dans des conditions infernaux, de faire appel aux bons experts et aux sources les plus fiables.
À nos détracteurs qui nous reprochent d'avoir trop donné à voir, à lire, nous, journalistes, rétorquons souvent que nous répondons à une demande du public, habitué désormais à l'information en temps réel. S'agit-il là d'une déresponsabilisation facile de notre part, selon vous ?
Il est évident que les logiques de concurrence pour l'audience maximum ne sont pas absentes. Cependant, le sujet s'est déplacé à propos de ces événements. Les médias n'ont plus le monopole : les faits, les images, les témoignages circulent sur les réseaux sociaux et ceux-ci sont devenus également des instruments pour tous les acteurs de propagande et de désinformation. Cela a pu être observé lors d'événements internationaux en Iran, en Tunisie, en Égypte, etc. Les médias ne sont pas exonérés pour autant d'une réflexion déontologique. Au contraire, leur rôle social, la confiance de leur public tiendront de plus en plus dans leur capacité à sélectionner et à valider les informations sur ces événements. 
Quel aurait été un traitement équilibré de ces événements ?
Je ne suis pas journaliste et encore moins en position de vouloir donner des leçons de journalisme. La réflexion est à mener au sein de la profession, notamment dans des lieux ad hoc qui dépassent la frontière de chaque rédaction, telle cette édition spéciale des Assises du journalisme. 
Fallait-il diffuser les images violentes de l'assaut de l'Hyper Cacher et de la mort d'Amedy Coulibaly ? N'est-ce pas prendre le risque de transformer, le temps d'une image et aux yeux d'un public dubitatif, un terroriste en martyr ? Cette scène alimente depuis les théories complotistes les plus farfelues selon lesquelles il aurait été tué pour ne pas révéler les noms de ses véritables chefs. 
Là encore, il faut repartir du fait que ces images auraient de toute façon circulé vu la multiplicité de ceux qui peuvent désormais produire celles-ci. La question est donc de trouver le bon positionnement. Celui qui respecte les victimes, les sensibilités du public. Celui qui valide les faits et permet d'interpréter ceux-ci. 
Ces événements ont aussi mis en lumière une fracture entre médias et public-lectorat. N'est-il pas venu, le temps pour le monde médiatique d'une remise en question profonde ? S'en exonérer, n'est-ce pas prendre le risque de perdre en crédibilité et donc de laisser les complotistes et autres sceptiques prospérer sur le dos des "médias-manipulateurs-irresponsables" ? 
La question des thèses complotistes et de leur attrait n'est pas nouvelle, de même qu'il n'est pas juste de dire que les rédactions s'en seraient désintéressées. Pour autant, le sujet est difficile, les réponses compliquées : faut-il répondre au risque d'étendre encore l'audience de ces thèses ? Quels sont les bons modes d'explication ? Il y a là un chantier d'analyse et de réflexion qui doit aller bien au-delà des journalistes ou des autorités, faisant appel à des experts, des chercheurs, des intellectuels ainsi que des acteurs de terrain.
Jean-Marie Charon est ingénieur d'études au CNRS, rattaché au Centre d'étude des mouvements sociaux (EHESS). Il est auteur de La presse en ligne, Paris, Repères La Découverte, 2011, 126 p.


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