La concurrence fait le succès des uns et l’échec des autres, mais l’uniformité assure l’échec à long terme.
L’histoire est pleine de leçons. Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter. Ceux qui la connaissent, en revanche, sont condamnés à les prévenir en vain – sauf s’ils parviennent à leur faire entendre raison, et c’est ce à quoi nous devons nous atteler sans relâche si nous voulons éviter une catastrophe.
Il serait impossible de résumer l’histoire de la Chine et de l’Europe en quelques lignes. Même en ne s’intéressant qu’au sujet restreint (mais crucial) de la diffusion des technologies dans ces deux pays. Cependant, on peut à travers ces exemplescomprendre les différences dans la diffusion des innovations résultant de l’unification et de la fragmentation d’une région.
La Chine, unifiée depuis longtemps, a plusieurs fois interrompu le progrès technique, voire régressé : l’autorité centrale, soudainement opposée à certaines technologies ou entreprises, y a mis fin, au moins pour un temps. Par exemple, les envois de flottes chinoises en Afrique de l’Est ont cessé lorsque les eunuques ont perdu le pouvoir au 15ème siècle ; l’horlogerie chinoise, jadis la plus avancée, a été annihilée par volonté politique.
À l’inverse, la fragmentation de l’Europe a permis la diffusion de nombreuses technologies et le lancement de nombreuses entreprises : canons, imprimerie, armes à feu, éclairage électrique se sont développés car une ou plusieurs entités politiques l’adoptaient, poussant d’une façon ou d’une autre les voisins à l’adopter sous l’influence, la menace ou la conquête. Le développement de l’éclairage électrique dans les rues londoniennes a été retardé par volonté politique à la fin du 19ème siècle, mais l’influence du continent a finalement eu raison de l’obstination politique. Christophe Colomb a essuyé plusieurs refus avant de convaincre le roi d’Espagne, d’abord réticent, de financer son expédition ; devant le succès espagnol, les autres pays se sont lancés dans la conquête des Amériques.
La fragmentation permet la concurrence, et la concurrence permet la diffusion des technologies par l’adoption d’une entité suivie ensuite par les autres. Bien sûr, il y a, un temps, des perdants : ceux qui ont refusé le progrès ou ont misé sur le mauvais cheval. Mais l’histoire montre que le retard est rarement impossible à rattraper ; Espagnols et Portugais n’ont pas conservé leur hégémonie, pas plus que les Français ou les Hollandais. Le Croissant Fertile, autrefois région la plus avancée, a durablement sombré dans la pauvreté avant la découverte de richesses dans le sous-sol. D’autres régions ou pays ont rattrapé puis dépassé chacun d’entre eux.
Ce qui est vrai à l’échelle de pays l’est aussi à l’échelle des individus qui les peuplent. Les entreprises font des choix technologiques parfois bons, parfois mauvais ; certaines resteront, d’autres périront. Nokia, autrefois un leader de la téléphonie mobile, a été racheté par Microsoft avant que la moitié de ses effectifs ne soit licenciée.
On peut déplorer que certains échouent. Mais tous les choix ne peuvent pas être aussi bons, et certains, si on leur laisse le choix, feront parfois le mauvais choix. La technologie du transistor, qui a permis la domination du marché électronique par les Japonais, a été brevetée puis vendue par Western Electric à Sony pour ne pas menacer le marché américain des tubes à vide ; il y a de quoi s’en mordre les doigts pour longtemps.
On peut surtout comprendre que, si le même choix est imposé à tous, il est possible (certain ?) que tous échouent. Et comprendre alors en quoi la volonté des régulateurs d’imposer des normes et standards uniques, bien que partant d’une bonne intention, est dangereuse : si on choisit le mauvais standard, la mauvaise technologie, on peut conduire des industries entières à la faillite.
Et il en va de même des individus. En biaisant le marché pour orienter, par exemple, leur épargne et leurs investissements vers certains produits et certains secteurs plutôt que d’autres, le risque est important que tous connaissent des revers financiers importants. Et en les taxant pour investir au nom de l’ensemble des citoyens, on les prive de la possibilité même de choisir ; plus question d’orienter, on dirige. On peut faire le bon choix, mais les chances sont faibles, alors que certains auraient pu faire les bons choix s’ils en avaient eu la possibilité.
« Le futur est déjà là, il n’est simplement pas uniformément réparti. » — William Gibson
La concurrence permet donc le succès et l’échec ; l’uniformité assure l’échec à long terme. Pour utiliser une métaphore connue de La Fontaine, il vaut mieux être roseau que chêne. Ce n’est pas la rigidité qui fait la solidité, mais la flexibilité.
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