samedi 17 mai 2014
Montaigne, esprit sans loi
Il n’y a pas que la bonne chère ni la fête dans la vie. On peut aussi trouver de la joie à penser, simplement penser. Et à penser simplement un objet complexe. Il faut beaucoup de talent pour rendre d’accès facile une pensée difficile. C’est la marque d’un vrai respect à l’égard des lecteurs. Ainsi en va-t-il du Montaigne, la vie sans loi, de Pierre Manent : on ressort content de sa lecture, ébloui, repu. Voilà un livre de philosophie qui se présente avec la même franchise que les Essais, à visage découvert, ennemi des postures où le creux se dissimule sous l’alambiqué.
Récemment, on a écrit beaucoup sur l’homme à la tour, depuis Un été avec Montaigne, d’Antoine Compagnon (Ed. des Equateurs, 2013.), à Comment vivre, une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse, de Sarah Bakewell (Albin Michel, 2013.), en passant par une myriade d’articles commis, sous le sceau de l’érudition, par des spécialistes. L’ouvrage de Pierre Manent tranche avec ces efforts : il vise moins à traiter tel ou tel aspect des Essais qu’à démontrer en quoi Montaigne a inauguré la modernité politique. Ce n’est pas vraiment étonnant de la part de Manent, fidèle disciple de Raymond Aron. La manière mérite donc d’être soulignée dès l’abord : simplicité, clarté, rigueur, rien de scolaire, nul pédantisme. En quoi Pierre Manent suit la leçon de Montaigne, pour qui « la difficulté est une monnaie que les savants emploient comme les joueurs de passe-passe pour ne découvrir l’inanité de leur art ». Cette netteté du trait participe grandement à la volupté de la pensée en marche. Car c’est de cela qu’il s’agit : arpenter des problèmes de fond en compagnie des lecteurs, réfléchir à haute voix avec la volonté constante de se faire bien comprendre. Il y a de l’hospitalité, de la courtoisie dans cette démarche. Et même du sourire, quand Manent s’amuse des petites ruses de Montaigne pour faire passer la pilule de ses convictions iconoclastes sous une orthodoxie de façade.
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