La crise profonde qui oppose le gouvernement et les jeunes traduit un vrai fossé dans la société turque. Entre citadins et ruraux, entre laïcs convaincus et partisans d’un islam plus dur.
dimanche 9 juin 2013
En Turquie, rien ne sera plus jamais comme avant
« Le sujet n’est pas un parc, le sujet, c’est la démocratie ». Quelques heures seulement après les affrontements qui avaient la semaine dernière fait trois morts et des centaines de blessés dans les grandes villes du pays, le collectif de sauvegarde du parc Gezi avait rapidement annoncé la couleur. Bien sûr, la question écologique et la sauvegarde d’une centaine d’arbres interpellaient, mais d’autres questions sont venues se greffer au débat.
Car la société turque est en mutation, écartelée entre le poids des traditions, un islam reconquérant, et les désirs économiques d’un pays émergeant et les aspirations de sa jeunesse. Cette dernière les a rappelées bruyamment tous les soirs depuis douze jours au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui cristallise la rancœur après l’intervention trop musclée de la police, et des lois qui « restreignent les libertés individuelles », selon Ozlem, l’une des premières à s’être mobilisée au parc au sein de « Taksim plateform ». Sur l’alcool interdit après 22 heures, l’avortement, l’enseignement de la religion à l’école. Sur l’attitude des principaux médias du pays, visés aussi par les manifestants pour avoir totalement occulté la révolte grandissante.
Depuis douze jours, c’est donc le même refrain, après les heurts des premiers jours, d’une parenthèse enchantée pour la communauté de Gezi. Un no man’s land. Les barricades comme remparts dans les grandes avenues. Infranchissables. Un incroyable village solidaire, comme Christiania au Danemark, s’est constitué au milieu des tentes. Tout est gratuit (hôpitaux de campagne, alimentation, vêtements, livres et même cigarettes) parce que donné par des proches, ou des soutiens. Une république autonome qui traduit aussi les fractures actuelles de la société turque. Ses paradoxes aussi, comme chez ses jeunes biberonnés de technologie et de culture occidentale mais qui revendiquent haut leur « anti-impérialisme », et leur nationalisme via un attachement inconditionnel à Atatürk, le père de la République.
À la tombée de la nuit, lorsqu’ils sont sortis du travail, les Stambouliotes apportent par milliers leurs voix à la contestation. C’est là que la politique s’invite sur le tapis vert des débuts. L’extrême gauche en pointe, mais pas seulement. Le CHP, principale force d’opposition du pays, a lui aussi tenté une incursion, « au désarroi » d’Ozlem. Non à la récupération. « Dès qu’ils ont fait des discours, on leur a demandé d’arrêter… » Et tout est rentré dans l’ordre, dans un incroyable patchwork festif et bruyant de forces politiques et syndicales hostiles au pouvoir.
Tous ne demandent pas la démission d’Erdogan. « Car qui y a-t-il derrière ? », s’interroge Elifinal, thésarde en sociologie et histoire, qui distribue des tracts pour « Taksim Comunu », organisation d’extrême gauche. Pour autant, pas question de céder, de déserter Gezi. Encore hier, des centaines de milliers de personnes ont défilé dans le calme. « Erdogan fait sa propagande, on la fait aussi ». Le combat continue à « Resistanbul ».
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