jeudi 13 juin 2013
Collomb : "Il faut réformer, c'est certain. La France est en train de perdre pied."
Gérard Collomb travaille dans son bureau à Lyon quand il apprend, le 7 juin, la mort de Pierre Mauroy. Il se souvient : "Je faisais partie des députés qui le soutenaient lors du tournant de la rigueur. Au PS, il y avait déjà ceux qui voulaient une relance dans la relance. Rien n'a changé !" Trente ans après, le sénateur-maire socialiste de Lyon n'a pas non plus beaucoup varié. Il prône toujours une ligne "sociale-réformiste", la seule qui vaille à ses yeux. Le 18 juin, il lancera une sorte d'appel pour secouer la France. À son initiative, une dizaine d'économistes de haut vol (Philippe Aghion, Gilbert Cette...) débattront au Sénat avec un petit cercle de parlementaires des solutions pour redresser le pays, avant d'autres rencontres. "Je veux donner les bases théoriques à mes collègues en mal de repères", dit le maire de Lyon. Il y a fort à parier que tout le monde, au PS, n'appréciera pas sa potion.
Le Point : Vous voulez proposer d'autres solutions à la crise parce que le gouvernement fait fausse route ?
Gérard Collomb : Je pense surtout qu'il faudrait montrer la cohérence de l'action menée ! Le président et le Premier ministre ont pris un tournant par rapport à la ligne défendue par certains au sein du PS avant la présidentielle, car la crise s'est imposée. Mais, quand le chef de l'État parle de boîte à outils, les Français s'interrogent : la maison est-elle en train de s'effondrer ? Si oui, quels sont les plans pour la reconstruire ? Les architectes et les maçons sont-ils tous d'accord ? Nous voulons expliquer pourquoi il est nécessaire de reconstruire, et selon quels plans.
Pourquoi la maison s'effondre-t-elle ?
Notamment parce que le niveau de la dépense publique atteint des sommets insoutenables, avec 57 % du PIB, contre un peu moins de 52 % en Suède, un pays connu pour l'importance de l'intervention publique, et seulement 46 % en Allemagne.
Un socialiste qui critique le poids de la dépense publique, c'est un peu le monde à l'envers !
Mais comment ne pas voir que cette dépense pèse lourd sur nos entreprises ? En France, elles assurent près du tiers de nos ressources fiscales et sociales, contre 25 % en Allemagne. Le coût du travail est donc très élevé et pénalise tout le monde. Pour payer un salarié 31 000 euros net, une entreprise française paiera chaque année 58 000 euros, contre 48 000 en Allemagne. C'est là un cercle vicieux : les salaires sont sous tension, la rentabilité des entreprises se réduit, elles n'ont plus les moyens de financer leur développement, elles perdent des parts de marché. Un seul chiffre pour traduire cette perte de compétitivité et d'innovation : on a acheté en 2012 3 500 robots pour nos usines ; les Allemands, 19 000 !
Avec quels plans l'architecte Collomb veut-il rebâtir la maison ?
D'abord, il convient de rétablir la santé financière du pays en continuant à réduire les déficits. Mais il faut des choix clairs, qui ne soient pas contredits sans cesse. J'en veux pour preuve la réforme des rythmes scolaires. D'un côté, le gouvernement réduit son aide aux collectivités de 1,5 milliard d'euros, mais il nous oblige aussi à dépenser plus. Je sais que, pour Lyon, la réforme des rythmes me coûtera, par exemple, entre 5 et 8 millions d'euros. Attention aux injonctions contradictoires ! Deuxième point, la décentralisation. On peut aller plus loin, enlever quelques couches au mille-feuille des collectivités locales, procéder à de grandes réformes de structure. La politique du rabot ne suffira pas à résoudre nos problèmes.
Et le système des retraites, auquel le gouvernement va s'attaquer ?
On ne doit pas l'adapter à la marge. Il faut le réformer en profondeur et regarder l'ensemble des systèmes, privés et publics, régimes spéciaux compris. J'ai déjà dit que le système à la suédoise, par points, me paraît performant, car il permet chaque fois que l'espérance de vie progresse d'allonger la durée de cotisation, sans avoir l'effet brutal de nos réformes. De plus, il prend en compte la pénibilité des métiers et la situation de chacun. Il donne la liberté de continuer ou non. En France, le couperet tombe pour les fonctionnaires à 65 ans, par exemple, alors que certains aimeraient continuer à travailler !
Il y a déjà eu pas mal de réformes, comme la BPI ou le crédit d'impôt. Est-ce trop peu ?
Tout ça est très bien, mais, et c'est la deuxième grande idée que je veux défendre, ces avancées peuvent être gâchées par des discours contradictoires. Sur l'entreprise, par exemple, je remarque que tous les ministres ne vont pas dans le même sens ! Je regrette aussi que la complexité nuise aux réformes. C'est le cas avec le crédit d'impôt compétitivité emploi. Sa mise en oeuvre compliquée entraîne du retard à l'allumage et quatre patrons de PME sur cinq disent que le CICE n'aura pas d'impact sur l'emploi dans leur entreprise. Si on avait pris une mesure plus simple, comme la baisse des charges patronales en échange de l'abandon de niches fiscales, l'effet aurait été immédiat.
Baisser les charges patronales ? Le PS va s'étrangler !
C'est une mesure nécessaire si on veut recréer de l'emploi. Mais là aussi attention à la valse-hésitation ! Beaucoup de chefs d'entreprise me disent : "Le gouvernement nous aide un jour, mais on ne sait jamais si demain, sous l'influence de certaines franges de la majorité, il ne va pas prendre une décision à rebours." L'insécurité fiscale en France est contre-productive.
L'abandon de toute recherche sur le gaz de schiste doit aussi vous énerver...
Le problème est plus global. Les États-Unis sont en train de creuser l'écart par rapport à l'Europe grâce à une énergie 30 % moins chère. Mais le débat ne concerne pas seulement le gaz de schiste. C'est toute l'énergie qui, en France, coûte trop cher aux industriels. En Allemagne, un système d'exonération allège leur facture, en échange d'un tarif un peu plus élevé pour les consommateurs. Le résultat, c'est que l'Allemagne dispose toujours d'une industrie lourde. Le prix de l'énergie est un facteur-clé en matière de compétitivité industrielle.
Souhaitez-vous aussi réformer le marché du travail ?
C'est le dernier point que je veux souligner. Il faut fluidifier notre société. Elle est très bloquée, avec des verrous puissants. Je pense, bien sûr, au marché du travail. En France, les insiders, ceux qui sont à l'intérieur du système, sont très bien protégés avec les CDI, les conventions collectives. Mais il y a les autres, les jeunes notamment, qui cumulent les CDD, les stages, etc. Tous les économistes le disent : parce qu'il est trop bloqué, notre marché du travail est la source d'un chômage très important.
Le système de formation est aussi dépassé, dites-vous...
La formation professionnelle est souvent loin de répondre aux attentes des entreprises. Quant aux universités, elles auraient besoin d'un effort d'investissement que l'État seul ne peut assurer. Il faut donc en appeler aux entrepreneurs, solliciter leurs financements, les faire entrer dans les conseils d'administration pour mieux adapter les formations au tissu économique local. Autre piste : pourquoi ne pas imaginer le paiement de droits d'inscription a posteriori ? Une fois engagé, le diplômé rembourse un certain nombre d'années de sa formation.
Voulez-vous marcher dans les pas de Schröder, l'ex-chancelier dont on loue aujourd'hui les profondes, mais douloureuses, réformes ?
Ce n'est pas comparable, la période n'est pas la même. Mais il faut réformer, c'est certain. On ne peut rester avec ce système et cette société bloqués. La France est en train de perdre pied, ça ne date pas d'aujourd'hui, mais des dix dernières années. François Hollande n'a pas le choix. S'il veut éviter que la France se laisse définitivement distancer, il doit rebâtir la maison.
Encadré : le modèle lyonnais
À l'image de la Silicon Valley, Gérard Collomb veut favoriser les "écosystèmes locaux". "Il faut les développer pour asseoir à nouveau une industrie en France. Je pense aux sciences du vivant à Lyon, à l'aéronautique à Toulouse. On pourrait développer un système de capital-risque régional qui cumulerait des fonds publics, à travers la BPI, et des fonds privés locaux. Je connais beaucoup de capital-risqueurs prêts à aider des projets locaux, parce qu'ils les connaissent."
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