lundi 25 février 2013
Marcela Iacub ou la synthèse extraordinaire du libertarisme le plus flamboyant et du fascisme le plus prophétique
L'essayiste Marcela Iacub a entretenu une liaison de sept mois avec Dominique Strauss-Kahn. Dans "Belle et Bête", elle raconte l'être aimé : mi-homme, mi-porc. A travers son livre, l'auteur expose un féminisme féroce, sans pitié pour les hommes prédateurs et encore moins pour les femmes qui ne sont pas prêtes à être prédatrices. Et si la pire trahison de l'auteur était celle de son camp en révélant au grand jour l'horreur idéologique d'une certaine gauche ?
Tout le monde s’énerve à propos du livre de Marcela Iacub, Belle et bête, qui paraît le 27 février chez Stock, et dont Le Nouvel Obs a déjà proposé un fameux effeuillage - au grand dam des consciences de gauche qui n’aiment pas tellement qu’on révèle au grand jour leurs contradictions socialo-individualistes ou marxo-hédonistes. Les mêmes que Clouscard et Houellebecq avaient stigmatisés depuis longtemps : on est socialiste économiquement (du moins, on essaye) mais on est ultralibéral sexuellement (et là, on ne transige pas). Il est vrai que ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à une synthèse extraordinaire entre le libertarisme le plus flamboyant et le fascisme le plus prophétique, celle qu’incarne à coup sûr cette Merteuil sans complexes.
Car le seul véritable intérêt que va présenter ce livre sado-misandre (parce que la dimension "littéraire" si vantée par Laurent Joffrin et Gérard Lefort n’apparaît pas encore évidente au vu des pages qu’on a pu lire et malgré une comparaison, disons stupéfiante, avec Esope, Kafka et Orwell !) est qu'il va exciter, secrètement ou non, l'instinct de vengeance de certaines femmes qui rêveraient d’être aussi intensément manipulatrices que cette Marcela et le fantasme inavouable de certains hommes qui se damneraient pour rencontrer ce genre de femmes. A travers Marcela, voici donc une sorte de féminisme (ou de masochisme) féroce, sans pitié pour les hommes prédateurs et encore moins pour les femmes qui ne sont pas prêtes à être prédatrices - et qui du coup imaginent qu’un viol ne peut être autre chose que "traumatique", les pauvres chéries. Une nouvelle et très vengeresse guerre des sexes où l'on couche non pour se perdre mais pour perdre autrui, et où la logique tradi du "sucer, c'est tromper" laisse la place à celle, indéniablement plus féministe, du "sucer pour tromper". Tout cela risquant paradoxalement de rendre DSK sympathique et de confirmer Anne Sinclair dans son rôle de madone sacrifiée - et cette fois-ci par une femme... Mais la femme est un loup pour la femme.
Bien entendu, on n’a pas cessé depuis deux jours de rappeler qui était Marcela Iacub, cette Zahia qui se prend pour Lou Andrea Salomé, ses déclarations fracassantes sur Auschwitz, le viol et les mères porteuses - et qui n’indigneront au fond que ceux qui n’ont pas encore compris qu’aujourd’hui le ressenti de l’individu l’emporte sur le sentiment collectif et que l’exception ou la singularité font loi bien plus que l’universel. Son propos sur les gens qui seraient revenus des camps de la mort sans être "traumatisés" est certes insoutenable du point de vue de la conscience historique et de la morale collective, et une insulte faite aux rescapés, mais d’un point de vue purement subjectif, singulier, dénué de Surmoi, et qui n’a cure de l’Histoire, y compris de la sienne, j'allais dire : d'un point de vue post-moderne et fier de l'être, où l'indifférence revendiquée va de pair avec l'innocence la plus cathare, on trouvera toujours quelqu'un pour soutenir sincèrement cette position (un peu comme, disait George Steiner, on trouvera toujours quelqu'un pour soutenir sérieusement que Shakespeare, c'est de la merde). De même, on rencontrera toujours des femmes (ou des hommes) trouvant très malin de faire une pipe à six millions d'euros. Iacub se dit du côté des cochons qui vivent leurs pulsions sans calcul mais elle se retrouve bien, et personnellement, physiquement, sexuellement, du côté des chiennes qui calculent ce qu’elles peuvent tirer en gloire et en fric auprès d’un pauvre diable. Beau jeu d’écrire ensuite qu’elle a trouvé ce dernier touchant dans sa cochonnerie, émouvant dans sa boulimie sexuelle, tombant dans tous les pièges qu’une femme peut tendre, le dernier étant à ce jour, le sien, mais qu’elle-même se trouve formidable d’avoir vécu une liaison si "poétique".
Quant aux mères porteuses épanouies et persuadées de vivre "une grande aventure humaine", telle Colleen, la mère porteuse courage que l’on voit dans Naître père, ce documentaire de Delphine Lanson sur ce couple gay qui a décidé d’avoir des enfants et qui a eu recours à ce qu’Elisabeth Badinter appelle sans pleurer une "GPA éthique", où est le problème ? Toute femme, du moment qu'elle est assez forte pour l'assumer et assez sensuelle pour en jouir, a le droit de louer son ventre ou son vagin sans qu’on n’en puisse rien y redire. En vérité, Iacub s’intéresse non pas tant aux minorités opprimées qu’aux minorités de minorités qui font leur beurre de cette oppression. Son rayon, c’est la pute bienheureuse, l’esclave épanouie, la rescapée je m’en foutiste, la violée-que-ça-va-pas-m’empêcher-de-vivre. Triomphe d’une volonté féministe, en quelque sorte, mais d’un féminisme absolument pas fraternelle, d’un féminisme individualiste, autarcique ou surhumain - au choix.
Alors oui, on pourra dire que Marcela Iacub est en effet une individualiste ultra-ultra libérale, sans Dieu ni maître, qui ne perçoit le monde qu’à travers la subjectivité en rut (qu’elle appelle cochonnerie) et selon cette idée très performative et au fond très fasciste que la raison la plus basse est toujours la meilleure : est en effet fasciste celle qui ne raisonne que selon le sang, le sol, le sperme et le tout. Une féministe d’un genre nouveau, le genre reptilien, pour qui la seule réalité est sexuelle, financière et individuelle. Une sorte d’ Alain Soral en jupon pour qui qui la bagatelle est toujours un massacre, la séduction un préliminaire à l’extermination et la civilisation une pure hypocrisie que l’on fait passer pour un malaise et qu’il faut gérer fissa. Bref, l'aboutissement d'une certaine pensée anarchico-gauchiste, beatniko-libertaire (à dix mille lieues de Jaurès ou de Chevènement, on est d'accord), et qui comme toujours avec ce genre de pensée aboutit à une forme de totalitarisme du plus fort ou de la plus fatale.
Mais on pourrait dire aussi autre chose de cette succube, quelque chose qui expliquerait le tollé qu’elle a déjà commencé à susciter auprès de la gauche morale, quelque chose d’impardonnable sur le plan idéologique et qui ne se fait ni à droite ni à gauche ni nulle part, au risque de ridiculiser tout le monde, quelque chose qui s’appellerait… vendre la mèche.
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