jeudi 31 janvier 2013
PS : la rose se fane
Gauche. Inaudible des Français, cantonné au rôle de godillot mais inutile pour le gouvernement, le Parti socialiste est le grand perdant de l’État PS.
Mercredi 19 décembre. Harlem Désir réunit ses plus proches soutiens chez Cru, un restaurant parisien ultrabranché de la rue Charlemagne, dans le Marais, pour un premier bilan des quelques mois passés à la tête de la machine PS. Les critiques fusent : « Tu n’es pas assez visible, le PS non plus », lance un premier. « Il y a trop de couacs à l’Assemblée, trop de jeunes qui cherchent à exister en signant des pétitions. C’est au parti de dire : “Les gars, vous avez été élus grâce à l’étiquette PS. Arrêtez les conneries !” », lâche un autre. « Sur Florange, le PS a été atone », tempête un troisième. En les écoutant, le premier secrétaire du PS noircit les pages d’un carnet.
L’heure est grave. Depuis que son hégémonie s’est étendue, après les grandes villes, les départements, les régions et le Sénat, à l’Élysée et à l’Assemblée nationale, le PS est inaudible. Le pouvoir a déserté la Rue de Solferino en même temps que la quittaient les poids lourds socialistes pour grossir les rangs du gouvernement. Entre ses déclarations lénifiantes et ses communiqués «saluant » les décisions du gouvernement, le parti au pouvoir se comporte comme un parfait godillot. Sur le mariage homosexuel, par exemple, où ses parlementaires ne peuvent voter en conscience.
Les réunions de la Rue de Solferino sont décrites comme « mornes » par leurs participants. Un député : « Désir travaille seul et n’organise pas la riposte. » Un autre : « Je n’entends pas mon parti. C’est une catastrophe, on ne comprend rien. » Conseillère politique de Harlem Désir, Corinne Bord ne dit pas autre chose : « La voiture roule en première, il faut l’amener en cinquième. Mais il faut y aller doucement. » Principale caractéristique du Harlem Désir des années post-SOS Racisme, la “langue de bois massif” doublée du politiquement correct promu par la gauche le contraint à abandonner toute tentative d’émancipation. Soudé au gouvernement, le PS autoréalise la prophétie de Jean-Christophe Cambadélis, candidat malheureux au poste de premier secrétaire, en octobre dernier, qui appelait, après l’élection de Désir, à une « contre-offensive » pour ne pas succomber à la « tétanie postélectorale ».
Pour Harlem Désir, le diable est que l’activisme des “alliés” verts et du Front de gauche, plus que jamais critiques face au gouvernement, ne fait que renforcer l’image d’un parti ankylosé. Nombre d’erreurs lui sont aussi reprochées : « Le PS est complètement subordonné ! Harlem n’est pas un codécisionnaire comme pouvait l’être Hollande sous Jospin. Il vient prendre des notes à Matignon le mardi matin », martèle un cadre de Solferino. « Il a choisi l’alignement pur et simple, sans une once d’autonomie », peste Emmanuel Maurel, représentant de l’aile gauche du PS et adversaire de Désir au congrès de Toulouse, en octobre dernier, où sa motion avait obtenu 13 % des votes des militants. « Le PS est le plus grand parti de France, mais on a pris ça par-dessus la jambe. On est en train de le payer », regrette un conseiller de Hollande. Un ministre : « Sous la Ve République, il faut que l’exécutif, les groupes parlementaires et le parti fonctionnent de manière harmonieuse. Si un moteur manque, il y a déséquilibre. C’est le cas. » Le PS n’est pas la force de propositions et de remobilisation espérée par le couple exécutif, en berne dans les sondages. « François doit s’y coller, relancer la machine », murmure-t-on au gouvernement. Pour pallier ces manques, le président lui-même, qui jurait pourtant qu’il cesserait d’agir en chef de parti (« Moi président… »), a convié à sa table élyséenne les piliers de sa majorité, le 9 janvier dernier : outre Désir, étaient présents Jean-Marc Ayrault, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et celui du Sénat, Jean-Pierre Bel.
Les choses seraient moins compliquées pour Harlem Désir s’il régnait sur un parti uni. Or, selon la formule qui veut que les socialistes arrivent unis au pouvoir et se séparent durant son exercice, c’est un PS balkanisé que doit fédérer le premier secrétaire. Entre son aile gauche et le courant social-démocrate, le camarade Désir marche sur des oeufs. Ses — rares — tentatives d’émancipation lui donnent l’occasion de creuser davantage ce fossé : le 9 janvier, il réclame, dans un entretien aux Échos, que la taxe à 75 % soit appliquée « dans le cadre du foyer fiscal », et ce, contre l’avis du gouvernement. « Je suis content qu’il se soit lâché », le gratifie Jérôme Guedj. À Matignon, les dents grincent… Idem sur le non-cumul des mandats, ardemment désiré par Hollande, mais ouvertement critiqué par les barons socialistes, au premier rang desquels le président du groupe PS au Sénat, François Rebsamen. Les épisodes Florange et pacte de compétitivité auront aussi été l’occasion de braquer les ultras du parti : « Il est où, à la télé, le premier secrétaire, pour dire que l’augmentation des salaires des grands patrons est un scandale ? », fulmine-t-on Rue de Solferino.
« Le parti n’a pas pris ses marques. Harlem n’imprime pas. Il ne fait peur à personne », juge un ministre. Seul Cambadélis, le premier opposant à Désir, conserve une envergure nationale lors des bureaux politiques. « En 2013, les socialistes seront seuls », pronostiquait-il début janvier. Les querelles d’egominent pourtant moins le parti que les affaires qui lui restent à gérer. Du Nord au Sud, de Gérard Dalongeville à Jean-Noël Guérini, en passant par l’Hérault, où le patron de la troisième fédération socialiste de France est visé par la justice pour des frais de bouche et de déplacements injustifiés à la charge du parti… Du temps de Martine Aubry, au moins, personne ne contestait l’autorité de la patronne. Mais Désir, lui, se voit reprocher sa transparence. Surnommé le “timonier timoré” par Libération, il aurait surtout « la préoccupation de ne pas sortir des clous ». On s’inquiète de sa frilosité. « Il a arrimé son destin à celui de Jean-Marc Ayrault. Il ne fait rien qui puisse gêner le premier ministre », regrette Emmanuel Maurel. Explication du sénateur Luc Carvounas, secrétaire national du PS, chargé des relations extérieures : « Hollande voulait une présidence normale, on a un premier secrétaire normal. » Un manque d’autorité qui se vérifie jusque dans le choix des candidats pour les prochaines municipales, où les tensions, comme à Paris (lire page 14), pourraient s’intensifier…
Reste le pire : le profond décalage du parti avec les Français, constaté avec dépit par François Rebsamen : « La droitisation de la société est un phénomène très profond. » Dans la Catastrophe du 6 mai, l’essayiste Jean-François Kahn voyait le score de Nicolas Sarkozy au second tour (48,3 %) comme la preuve de cette droitisation et de jours sombres à venir pour la gauche… Les Français sont en effet favorables à 80 % (sondage Ifop-Atlantico) au “démantèlement des camps de Roms” et sont 75 % (enquête Ifop-le Journal du dimanche) à considérer que “l’islam progresse trop en France”… Au PS, on tente d’endiguer cette tendance en faisant de la surenchère sur les sujets mobilisateurs : outre les campagnes d’affichage, la pétition sur le “mariage pour tous”, la lettre aux parlementaires pour les inciter à soutenir le droit de vote des étrangers, le PS a financé la manifestation des partisans du “mariage pour tous” et grossi les — maigres — rangs de ses zélateurs. Lesquels ont largement, sur le plan des chiffres comme sur celui des idées, perdu la bataille face aux antimariage gay !
Rebaptisé « astre mort » par Jean-Luc Mélenchon, le PS est, à gauche, la première victime de son hégémonie sur les institutions françaises. Et prouve que, lorsque fane la rose, n’apparaissent plus que ses épines…
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