samedi 12 janvier 2013
Notre Code du travail bride les énergies et les embauches
Avec ses 10.000 articles, le petit livre rouge est devenu un vrai cauchemar pour les chefs d’entreprise. Et pour l’emploi.
Ah, le Code du travail ! Incroyable ce qu’il peut susciter en ce moment de passion et de controverses. A en croire certains, les rigidités qu’il impose aux entreprises expliqueraient une bonne partie du chômage en France. Vieille rengaine réactionnaire, rétorquent les syndicats, en assurant que les dispositions du petit livre rouge n’empêchent pas des millions de salariés d’être victimes de la flexibilité à outrance. Et qu’elles ne freinent nullement les embauches.
Nos piteuses performances en termes d’emploi obligent quand même à se poser la question. Et la réponse, quoi qu’on en dise, tombe sous le sens. «Il serait absurde de le nier, le manque de flexibilité dans les relations sociales nous fait perdre plusieurs dizaines de milliers de postes», résume Gilbert Cette, professeur d’économie à Aix-Marseille, pourtant marqué à gauche. Au reste, le gouvernement semble en être lui-même convaincu, puisqu’il a demandé aux partenaires sociaux d’ouvrir une grande négociation pour essayer de dégripper la machine. En échange de garanties pour les salariés, les syndicats y sont appelés à accepter la levée des contraintes.
La plus destructrice d’emplois est sans doute à chercher au chapitre des conditions de licenciement. Certes, depuis que syndicats et patronats se sont entendus pour instaurer un mécanisme de «rupture conventionnelle», il est devenu beaucoup plus simple pour un chef d’entreprise de se séparer d’un unique salarié. Par contre, en cas de difficultés économiques, les trains de licenciement collectif restent extrêmement longs et coûteux à mener. Selon un récent rapport du think tank Terra Nova, peu suspect de sympathie patronale, il faut souvent douze à dix-huit mois de négociations pour les mener à bien, durant lesquels la situation de l’entreprise continue de se détériorer.
«En définitive, le coût moyen du licenciement d’un ouvrier s’élève à 100.000 euros, dont 30.000 euros d’indemnités et 70.000 de coûts de gestion du temps.» Résultat : en dépit de leur surcoût (prime de précarité de 10% pour les CDD et rémunération d’une agence pour un intérim), beaucoup d’employeurs préfèrent avoir recours à des contrats précaires que de prendre le risque d’embaucher en CDI.
Le Code du travail peut être un handicap à l’emploi même quand les affaires ne tournent pas au vinaigre, car il génère tout un tas de dépenses qu’un peu plus de simplicité permettrait d’éviter. Devenue horriblement complexe avec les 35 heures, la gestion du temps de travail et des congés prend par exemple un temps infini, et que dire de l’établissement des bulletins de paie… «Saviez-vous qu’en France ceux-ci doivent comporter vingt-quatre lignes contre quatre aux Etats-Unis, sept en Allemagne ou huit en Italie?», précise François Taquet, professeur de droit social. Pour s’éviter les soucis, la plupart des PME sous-traitent donc cette activité à grands frais.
Autre contrainte redoutée par les employeurs, le passage des seuils d’effectifs. «Création d’un CE, d’un CHSCT, participation… Dès qu’une société atteint la barre des 50 salariés, ce ne sont pas moins de 35 obligations supplémentaires qui lui sont imposées, peste-t-on à la CGPME. Au total, cela aboutit à majorer le coût de l’heure travaillée de 4% en moyenne.» Certes, les travailleurs peuvent y trouver leur compte. Mais
ils en paient aussi le prix fort. Ce n’est évidemment pas un hasard si la France compte 6,5 fois moins d’entreprises de 50 à 200 salariés que de 20 à 49. Au total, l’Insee évaluerait la perte d’embauches liée aux effets de seuil (il en existe une dizaine) à 70.000 postes.
Les conséquences sur l’emploi de notre pointilleux droit du travail sont d’autant plus ravageuses que les employés n’hésitent plus à saisir les tribunaux au moindre manquement. Les recours aux prud’hommes ont augmenté de 11,5% depuis cinq ans et la chambre sociale de la Cour de cassation est débordée d’affaires. Pour les salariés, c’est pain bénit : la loi est tellement formaliste que beaucoup d’entreprises risquent de se faire condamner, même en étant de bonne foi.
Comment, en effet, être sûr de ne pas enfreindre la loi quand il faut respecter à la lettre pas moins de 10.000 articles (le Code du travail n’en comptait que 3.800 en 2003 et 600 en 1973) ? «La vérité, c’est que la plupart des employeurs sont dans l’illégalité sans le savoir», note Stéphane Béal, du cabinet Fidal. Pas étonnant que, dans 70% des cas, les prud’hommes donnent raison aux travailleurs contre leurs patrons. C’est le cas en particulier pour les cas de licenciement individuel. Et s’ils ne sont pas satisfaits du jugement, les employés ont cinq ans pour le contester. Autrefois, c’était trente. Il y a du progrès.
Laurent Vronski, gérant d’Ervor, à Argenteuil (95) : des contrats plus souples et il recrute
Dernier fabricant français de compresseurs
d’air pour l’industrie, sa PME est soumise à des cycles d’activité très fluctuants. Or rien, dans le Code du travail, ne lui permet de s’adapter aux périodes de basses eaux, hormis le chômage partiel, coûteux et complexe à mettre en œuvre. A l’inverse, en cas de commandes inopinées, il peine à trouver des bras, car les qualifications dont il a besoin sont rares (tuyauteurs, électromécaniciens ou chaudronniers). Voilà pourquoi Laurent Vronski milite pour un assouplissement du CDI, qui lui permettrait de moduler sa force de travail en douceur. Et en définitive, d’embaucher plus.
Jean-Claude Baudin, gérant de Charpente Cénomane (72) : il ne veut pas plus de 49 salariés
A la tête d’une fabrique de charpentes en bois installé à Requeil, dans la Sarthe, Jean-Claude Baudin le reconnaît sans ambages : il préfère limiter son activité (6 millions d’euros de
chiffre d’affaires) que de
porter son effectif au-delà de 49 salariés, A partir de ce seuil, les sociétés sont en effet soumises à une trentaine de contraintes administratives supplémentaires (mise en place d’un comité d’entreprise, d’un CHSCT, institution d’un accord de participation, institutionnalisation d’un délégué syndical…). Calculette en main, il assure que tout cela représenterait
un surcoût de 4% pour sa masse salariale.
Israfil Tekdal, restaurateur
à Fontenay-sous-Bois (94) : l’Urssaf veut lui faire perdre son job
Propriétaire avec sa femme d’un restaurant dans le Val-de-Marne, Israfil Tekdal va-t-il pouvoir conserver son emploi ? Pas sûr, car la survie de son affaire est menacée
par un contrôle Urssaf
stupidement tatillon. Son tort ? Ne s’être lui-même payé qu’à mi-temps alors qu’il travaillait en réalité toute la journée. Il a eu beau expliquer qu’il n’avait pas les moyens de se rémunérer davantage, le contrôleur n’a rien voulu entendre. Il envisage sérieusement de lui demander de s’acquitter des charges sociales sur la partie de son salaire… qu’il ne s’est jamais versée. Et sur les deux repas par jour que son employeur aurait dû légalement lui fournir. «Si l’Urssaf passe aux actes, on mettra la clé sous la porte.» Pôle emploi se frotte déjà les mains.
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