samedi 28 avril 2012
Comment la gauche a mené l'Education nationale à la dérive
Il y a longtemps que la gauche tient
l’éducation nationale, avec plus ou moins l’accord du reste de l’arc
politique, pour sa chose.
Plusieurs raisons à cela. D’abord l’héritage des Lumières. Faire progresser la société en diffusant les Lumières dans le peuple : quoi de plus conforme aux idéaux de la gauche ?
Ensuite l’histoire, ou du moins la lecture qu’en a imposée l’idéologie socialiste : l’école,
grand œuvre de Jules Ferry et des grands républicains de la génération
de 1880 – ce qui occulte le fait que la Révolution avait désorganisé
l’éducation populaire, que la loi Guizot (1833) avait déjà conduit à une
scolarisation d’au moins 80 % des enfants, que Jules Ferry et les siens
ne remettaient nullement en cause le monopole de la bourgeoisie dans
l’enseignement secondaire et supérieur. La démocratisation de
ce dernier doit en revanche beaucoup, c’est une justice à lui rendre, à
un homme politique socialiste injustement décrié, Guy Mollet. Elle
devait se réaliser en grand dans les années soixante.
Troisième connivence :
la couleur politique de la majorité des membres de l’institution, non
seulement les enseignants, en majorité orientés à gauche (dans une
proportion d’environ 2/3) et surtout l’appareil de la rue de Grenelle,
de l’inspection générale aux grands syndicats dont le poids s’exerce
lourdement sur les politiques menées par ce ministère, que le
gouvernement soit de droite ou de gauche.
Ces
accointances historiques entre la gauche et la grande tache éducative
ne devraient cependant pas occulter ce fait massif : si l’opinion
ressent, à juste titre, une dégradation de la machine éducative
française, que le classement Pisa de l’OCDE met en valeur[1], et qui se
traduisent par un retour de l’illettrisme à un niveau qui n’est pas si
éloigné de ce qu’il était sous la Monarchie de Juillet, c’est
principalement à la gauche qu’on le doit.
On
retrouve, en ce domaine comme en d’autres, le traditionnel primat de
l’idéologie sur les faits qui caractérise les politiques de la gauche,
pas seulement marxiste.
Dans le légitime et massif
mouvement de démocratisation de l’enseignement lancé après la guerre,
deux virus, d’abord anodins mais qui devaient se révéler avec le temps
profondément destructeurs, se sont infiltrés, jusqu’à en annihiler une
partie des effets.
Le premier est celui du faux égalitarisme.
Le
plan Langevin Wallon élaboré en 1947 par des universitaires membres du
parti communiste fixait l’objectif d’une filière unique (ou tronc
commun) pour tous les élèves de l’enseignement primaire et du premier
cycle du secondaire. On peut dire que ce plan est depuis 60 ans la
charte de l’éducation nationale.
Au départ, le
tronc commun avait pour but de donner les mêmes chances aux enfants des
différentes classes sociales et à cet égard, il était justifié. Jusqu’en
1965, le secondaire comprenait en effet trois filières : les uns
restaient à l’école élémentaire jusqu’au certificat d’études, les autres
allaient au collège d’enseignement général, puis à l’École supérieure,
les autres au lycée. Les options étaient analogues dans l’enseignement
privé. Une seule filière désormais : l’école élémentaire (11e-7e), puis le collège (6e-3e), puis le lycée (2e-Terminale).
La démocratisation devant être aussi une promotion. L’âge limite de la
scolarité obligatoire fut porté dès 1959 de 14 à 16 ans (en attendant 18
ou 20).
Le système dériva dès lors qu’on
considéra qu’il fallait mettre dans les mêmes classes, non seulement les
élèves de différentes origines sociales mais encore de différents
niveaux, vocations ou goûts. C’est ce qu’accomplit la réforme Haby
(1975), du nom du ministre de l’éducation nationale de Giscard.
À
tout le moins restait-il des différences de rythme : les moins à l’aise
pouvaient redoubler. La réforme Jospin de 1989 interdit pratiquement
cette possibilité. Il fut acquis que tout le monde devait avancer sur le
même chemin et du même pas, qu’il ait assimilé ou non ce qu’on lui
avait enseigné.
De même, les diplômes
techniques furent-ils peu à peu alignés sur le modèle du baccalauréat :
tout dernièrement le bac technique en quatre ans a été, dans un but
d’uniformité, ramené à trois.
La
situation du lycée professionnel, déjà malade, s’est aggravée avec la
suppression des écoles normales d’apprentissage (en 1991) et des classes
technologiques des collèges : au lieu d’anciens ouvriers face à des
élèves se sachant destinés à l’être, on voit désormais des professeurs à
bac + 7 face à des paumés : confrontée à une telle situation, une
enseignante s’est récemment suicidée par le feu à Béziers.
Mettre
dans le même moule et faire avancer au même rythme des élèves de
niveaux et aptitudes très différents multiplie les effets pervers :
ceux qui ne suivent pas n’ont aucun moyen de se raccrocher (malgré le
développement récent de devoirs assistés, publics ou privés) ; les moins
doués vivent l’école comme une source d’humiliation permanente, voire
comme un bagne. Ils prennent l’habitude au fil des ans d’écouter sans
comprendre, ce qui n’est pas la meilleure manière de former des
citoyens.
L’autre virus est ce qu’on appela la "rénovation
pédagogique". Les pédagogues de métier considérèrent que la pédagogie,
tenue depuis la plus haute antiquité pour un art qui s’apprenait sur le
tas, et relevait d’abord du talent ou du charisme de l’enseignant, et
surtout de la maîtrise de son domaine, était en réalité une science. Comme
l’évolution des sciences dures entraînait un progrès technique se
traduisant par des produits nouveaux et de meilleurs rendements, les
sciences humaines devaient, elles aussi, selon cette conception, générer
des progrès techniques en matière de pédagogie. C’est de cet
état d’esprit que procédèrent la substitution, au cours des années
soixante, de la méthode globale d’apprentissage de la lecture à la
méthode analytique. Dans la même ligne, les "pédagogistes" promurent les
méthodes dites actives selon lesquelles l’enfant devait, non pas être
instruit mais découvrir par lui-même ce qu’on voulait qu’il apprenne.
Pour un des papes de cette doctrine, Philippe Meirieu, l’enfant et non
plus le professeur, devait être "au centre de l’enseignement". Ces idées
ont inspiré la loi d’orientation du 10 juillet 1989, dite loi Jospin
jamais sérieusement remise en cause depuis.
Elle
est toujours la charte de l’enseignement primaire et secondaire. Elle
comporte d’autres dispositions perverses, telle la création des IUFM.
Officiellement, il s’agit de former les nouveaux enseignants aux
méthodes pédagogiques, ce qui se traduisit la plupart du temps par deux
ans d’idéologie abrutissante. En fait, il s’agissait aussi d’assurer la
perpétuation d’un vivier d’hommes et de femmes propres à entrer au
parti socialiste. Promus pompeusement professeur des écoles, les
instituteurs, qui avaient conservé un vrai prestige dans la population,
furent noyés dans la grisaille enseignante.
Ces mesures n’ont pas porté remède mais aggravé la montée de l’illettrisme.
En
1997, Lionel Jospin choisit Claude Allègre, son ancien directeur de
cabinet, comme ministre de l’éducation nationale. Allègre se tailla un
beau succès dans l’électorat de droite en dénonçant
le "mammouth" (l’administration de l’Éducation nationale) et en prenant à
partie le corps enseignant. Mais cette démagogie de droite cachait mal
la poursuite des orientations habituelles de la gauche en matière
d’éducation. C’est à Philippe Meirieu que le ministre confia en 1998 la
rédaction de la Charte de l’école du XXIe Siècle. Claude Allègre s’est
fait également remarquer par la critique bruyante des grandes écoles,
fleuron de l’excellence française.
Revenue au pouvoir, la droite n’a guère remis en cause ces orientations.
Depuis vingt ans toute une école de pensée, critique des méthodes
imposées par le ministère, comprenant Alain Finkielkraut, Élisabeth
Altschull, Jean-Paul Brighelli, Marc Le Bris, Rachel Boutonnet, Liliane
Lurçat, Laurent Lafforgue, médaille Fields 2002, Frank Debié,
Marie-Christine Bellosta, Natacha Polony, Françoise Guichard etc.,
produit à l’appui de ses thèses de multiples livres[2], articles, blogs contrastant avec la stérilité intellectuelle de l’école officielle, sans parvenir à être vraiment écoutée.
Les
orientations fondamentales ne sont pas remises en cause. Proposant un
nouveau train de réformes, Jacques Attali, resté homme de gauche même
s’il travaillait pour Nicolas Sarkozy, n’a rien trouvé de mieux pour
combattre l’illettrisme qu’une nouvelle modernisation des méthodes
pédagogiques.
La philosophie de Bourdieu a, elle aussi, joué un rôle clef : pour
ce dernier, l’enseignement classique était discriminant et inégalitaire
car, se fondant sur les valeurs bourgeoises, il favorisait les enfants
de familles bourgeoises maîtrisant mieux la langue et les"codes
culturels" de la société. À supposer que cette théorie soit
fondée[3], la dernière des conséquences à en tirer était celle qui le
fut : le relâchement général des exigences liées à la langue et à ces
codes ; le résultat en fut que ceux qui ne trouvaient pas cet
enseignement dans leur famille, ne le trouvèrent plus non plus à l’école
comme c’était le cas au bon vieux temps de l’école républicaine. Il
n’est pas exagéré de dire que Bourdieu, sociologue de gauche et même
d’extrême gauche, a été un des fossoyeurs de l’école républicaine.
Nous n’aborderons pas la question des universités car la gauche ne s’y est signalée par aucune réforme d’envergure.
En renforçant dès 1981, le rôle des maîtres de conférences au détriment
des professeurs agrégés, au motif de lutter contre le mandarinat, elle
affaiblit cependant l’institution. Mais, depuis lors, l’emprise qu’elle
exerce sur les 80 universités (où elle dispose d’environ 75
présidences) ne la pousse guère à remettre cause le statu quo. La
Conférence permanente des présidents d’université a tendu, au fil des
ans, à se substituer au ministre comme organisme régulateur de la
politique universitaire : on devine où vont ses préférences. Si Claude
Allègre avait quelques bonnes idées en matière de recherche, on ne voit
pas qu’il les ait traduites dans les faits.
Quoi qu’il en soit, l’école de Jules Ferry est morte et c’est la gauche « qui l’a tuer » !
[1] Source : MEN-DEPP, OCDE
[2] Parmi ces ouvrages, on citera notamment : Marc Le Bris, Et vos enfants ne sauront pas lire ni compter, Stock ; Rachel Boutonnet, Journal d’une institutrice clandestine, Ramsay ; Elisabeth Altschull, L’école des egos, contre les gourous du pédagogiquement correct, Albin Michel ; Liliane Lurçat, La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs et La débâche de l’école (avec Laurent Lafforgue), François-Xavier de Guibert ; Jean-Paul Brighelli, A bonne école, Gallimard ; Natacha Polony, Nos enfants gâchés : petit traité sur la fracture générationnelle française, Jean-Claude Lattès
[3] On
ne voit pas pourquoi elle le serait en mathématiques et en physique qui
constituent aujourd’hui la base de l‘enseignement.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire