"Heureux qui peut savoir l’origine des choses." C’est par cette citation du poète latin Virgile que débute
la proposition de résolution en faveur du
"Made in France", examinée ce jeudi à l’Assemblée. Déposée par l’ancien ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, et co-signée par plus de 150 députés, celle-ci vise à favoriser les produits fabriqués dans l’Hexagone, en mettant en avant leur origine. La semaine dernière, l’ex-ministre a notamment déploré "qu’aujourd’hui, une assiette fabriquée en Chine, à laquelle on rajoute un simple crochet en France pour en faire un simple élément de décoration" puisse être estampillée "Made in France". Pour éviter cela, il milite pour que seuls les produits fabriqués à plus de 55% dans l’Hexagone puissent décrocher cette mention.
Avec cette initiative, Christian Estrosi espère relancer une industrie française moribonde. Rappelant que le secteur a perdu près de 600.000 emplois ces dix dernières années, la proposition de résolution assure "qu’exporter moins, importer davantage, c’est le signe d’une économie qui s’est progressivement détournée du Fabriqué en France". Et d’ajouter que
selon une récente étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), près de deux Français sur trois (64%) se disent prêts à payer plus cher pour un bien fabriqué localement plutôt qu’à l’étranger.
"Une initiative politique"
Pourtant, aux yeux de nombreux spécialistes, cette mesure apparaît comme un cache-misère. A commencer par Pascale Hébel, la directrice du Credoc elle-même, qui, interrogée par leJDD.fr, fustige "une initiative protectionniste et purement politique", alors que les plans sociaux se multiplient. A l’instar de celui qui a bien failli frapper les ouvrières de Lejaby, avant qu’un sous-traitant de Louis Vuitton ne reprenne mercredi l’entreprise. D’après Pascale Hébel, l’Etat devrait plutôt "aider les entreprises à investir davantage dans l’innovation ou le marketing", pour fabriquer des produits à plus forte valeur ajoutée et les écouler à l’étranger.
De plus, elle souligne les limites d’une politique visant à favoriser le "Made in France". Si en période de crise, les Français tiennent bien compte de l’emploi dans l’acte d’achat, ils n’en demeurent pas moins sensibles au prix : "si le produit est vraiment trop cher par rapport à la concurrence, il ne se vendra pas, et ce, quelle que soit son origine", insiste-t-elle. Surtout, le "Made in France" n’a pas le même impact selon le secteur d’activité. "Dans l'agroalimentaire, les produits des petits producteurs séduisent plus facilement les Français car ils ont le sentiment d'être proches des agriculteurs", décrypte-t-elle. En revanche, les produits industriels plus complexes, comme les voitures, ne bénéficient pas de la même cote d'amour, car ils paraissent parfois plus "éloignés". "Leur processus de fabrication est moins connu, et chacun sait qu'ils ne sont pas façonnés en France de A à Z."
Un "téléthon"
Plus lapidaire, Matthieu Crozet, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), estime que ce retour en force du "Fabriqué en France" sur la place publique n’a "aucun intérêt économique". Il n’y voit qu’un "téléthon", visant à faire porter le manque de compétitivité des entreprises de l’Hexagone sur le dos du consommateur. D’après lui, le fond du problème réside notamment dans le fait que "90% des sociétés manufacturières françaises n’exportent pas", au contraire des firmes allemandes qui s’appuient sur "un puissant tissu de fournisseurs de qualité à l’étranger". Sous ce prisme, indique-t-il, inciter les entreprises à ne produire qu’exclusivement en France pourrait donc s’avérer contre-productif.
De plus, du côté des entreprises, l’engouement pour le "Made in France" apparaît limité. En mai dernier, le label "origine France garantie" a été lancé pour lancer un coup de projecteur sur la production française. Mais cette certification, payante et sur demande, peine encore à faire son nid. Car seule une quinzaine d’entreprises, dont Kronembourg ou l’opticien Atol, peuvent pour l’heure s’en prévaloir.
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