La réunion du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à Durban (Afrique du Sud) soulève un intérêt considérable. Je me borne à parler ici au nom de l'homme de la rue, dès lors qu'il dispose d'un minimum de culture écologique ; l'homme en question connaît bien les éléments essentiels du problème du "réchauffement" qui figurent dans la plupart des revues de vulgarisation scientifique et tout simplement dans la presse. Les médias en sont pleins. Je citerai en toute simplicité les analyses de l'excellente journaliste qu'est Lise Barnéoud dans un article récent de La Recherche :
1. Quantifié, le réchauffement général dont il est si souvent question, sur la base de mesures locales et régionales, océaniques et continentales de plus en plus précises, atteint pour le moins un degré centigrade pour le XXe et le début du XXIe siècle. On peut discuter ce chiffre, mais la tendance est incontestable et de toute manière la notion de réchauffement global est admise pratiquement par ce qu'on peut appeler l'opinion publique éclairée dans son ensemble, y compris et même par la plupart des climatosceptiques, à l'exception de quelques "durs à cuire", c'est le cas de le dire.2. Les océans se réchauffent, en particulier depuis une cinquantaine d'années.
3. Les glaciers reculent dans le monde entier pour la presque totalité d'entre eux. Les glaciers alpins régressent, bien sûr... et se "désépaississent" continuellement depuis les années 1930. Les glaces de l'Arctique et du Groenland rétrécissent de façon considérable.
4. L'élévation du niveau des mers était de l'ordre de 1 à 2 millimètres par an au cours du XXe siècle et le rythme de cette "surrection" tend à s'accroître. La liaison de ce phénomène avec la fusion des glaces polaires, alpines et autres semble être établie raisonnablement.
5. La migration vers le nord dans notre hémisphère d'un grand nombre d'espèces animales, y compris les oiseaux migrateurs et les papillons, semble justiciable d'interprétations réchauffantes analogues à ce qui précède.
6. Les sols se réchauffent en profondeur, en particulier aux dépens du permafrost, autrement dit des sols gelés en permanence sur une certaine épaisseur, en Sibérie et ailleurs.
Ces phénomènes dépendent pour une grande part, en dernière analyse, de l'accroissement des volumes de gaz à effet de serre, CO2 en particulier, projetés dans l'atmosphère par les combustions de toutes sortes telles qu'elles fonctionnent massivement dans l'industrie, l'agriculture, les modes de transport les plus variés.
Il ne serait pas convenable de la part d'un profane d'anticiper sur les conclusions infiniment plus détaillées du GIEC telles qu'elles seront progressivement publiées au cours des mois à venir. Cet organisme a décidé avec raison d'éliminer les quelques "à peu près" qui entachaient çà et là ses précédents rapports tels qu'édités à divers intervalles au cours de la dernière décennie.
L'auteur du présent article n'est pas un scientifique à part entière, simplement un historien du climat qui s'efforce depuis très longtemps de se tenir au courant du dossier présenté par les hommes de science. Ce dossier, tout bien réfléchi, lui paraît crédible.
Cette crédibilité repose aussi sur le fait que, historien professionnel du climat depuis de longues années, depuis 1956 plus précisément, auteur de huit ouvrages sur la question, je crois pouvoir disposer à cet égard, sans plus de prétentions bien entendu, d'une certaine légitimité.
Et d'abord une impression que je partage avec l'historien américain Geoffrey Parker : le réchauffement va s'accompagner, en diverses régions de la planète, de guerres, de troubles sociaux éventuellement graves, voire révolutionnaires.
C'est du reste la conclusion à laquelle était parvenu précisément le professeur Geoffrey Parker pour une tout autre période, celle du petit âge glaciaire, notamment le XVIIe siècle et plus précisément les années 1640. Geoffrey Parker (American Historical Review, 2008) s'était placé résolument à l'échelle mondiale, c'est ce qu'on appelle "big history" aux Etats-Unis.
A propos des années 1640, un peu allongées vers l'amont et vers l'aval, cet auteur envisage le quadruple complexe : accidents météo à répétition, famines, migrations, guerres civiles et étrangères. Le climat est basique mais il dialogue avec d'autres données douées d'une spontanéité spécifique : religion, guerre, politique, masses urbaines et paysannes, etc. Les grandes unités géographiques envisagées dans l'analyse parkerienne s'appellent Chine des Ming puis des Qing, ensuite l'immense Etat polono-lituanien, l'Empire espagnol projeté pour une grande part dans l'hémisphère Sud, l'Empire moghol à l'échelle de l'Inde, l'Empire ottoman, l'Etat des Stuart avec ses pseudopodes en Irlande, voire en Amérique du Nord, les grandes et petites puissances européennes...
Il n'y manque que le pape. Crises et catastrophes atteignent une dimension maximale, si l'on en croit Parker, au cours de cette décennie 1640, quasi médiane du XVIIe siècle. Le climat sous forme d'agression météorologique est bien davantage qu'un junior partner en ce complexe, mais d'autres entités sont en jeu, déstabilisatrices elles aussi, qui n'ont rien à voir pour le coup avec l'écologie : entités, répétons-le, qui sont religieuses, politiciennes, bellicistes, contestataires, rurales, etc. L'énigme de la révolution anglaise des années 1640 et de la Fronde, même extrapolée à l'échelle européenne, n'est qu'une entité parmi d'autres dans ce jeu global, tragique et circumplanétaire. L'accumulation du chaud au cours du XXIe siècle, voire du XXIIe, jouera-t-elle un rôle analogue à ce que fut l'accumulation du froid lors du siècle de Louis XIV et de tant d'autres monarques eurasiatiques en termes de catastrophes dorénavant plus fréquentes ?
Néanmoins, ce n'est qu'une des hypothèses possibles, certes inquiétante. Il faut souligner quand même que le pire n'est pas toujours sûr. L'historien a priori n'est pas un prophète de malheurs ; il a bien assez à faire professionnellement avec les désastres du temps jadis. Sur un tout autre plan, il semble raisonnable de penser qu'à l'histoire fluctuante du climat d'autrefois se substitue progressivement une histoire ascendante, si lente soit-elle en termes de température.
Deux mots sur cette histoire fluctuante. Dans une série de livres parus chez Fayard, notamment les trois volumes de l'Histoire humaine et comparée du climat (2004, 2006, 2009) ainsi que Les Fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui écrit avec Daniel Rousseau et Anouchka Vazak (322 p., 22 euros), j'ai défini deux types d'oscillations au cours des dix derniers siècles : d'abord, les oscillations séculaires, connues surtout "chez nous" par les avances et reculs des glaciers alpins et, bien sûr aussi, par d'autres critères, ces glaciers étant des appareils très sensibles mais qui procèdent avec une certaine lenteur et qui enregistrent de la sorte les changements majeurs de la conjoncture climatique (poussée fraîche du XIVe siècle, petit âge glaciaire multiséculaire de 1560 à 1855, etc.) ; et ensuite les fluctuations plus courtes, d'une trentaine d'années, mais leur durée est en fait assez variable, pouvant osciller entre vingt et quarante ans ; avec alternance, au sein même de chaque fluctuation de ce genre, d'abord d'une séquence tissée d'années plutôt tièdes suivies d'une séquence tissée d'années plutôt fraîches.
Un bel exemple est celui du dernier quart du XVIIe siècle avec contraste entre les millésimes maintes fois ensoleillés de 1676 à 1686 et les années très fraîches et famineuses de 1687 à 1701. Nous avons diagnostiqué ainsi, Daniel Rousseau, Anouchka Vasak et moi, une quinzaine de fluctuations de ce genre entre 1560 et 2011, mais sur le tard, de 1892 à nos jours, les fluctuations ainsi évoquées sont soulevées par la houle du réchauffement. Je renvoie le lecteur sur ces différents points à notre ouvrage Les Fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui.
Les différences thermiques moyennes d'un siècle à l'autre d'après le climatologue allemand Franz Mauelshagen, du XVIe au XIXe siècle, n'étaient en général que de deux dixièmes de degré Celsius en plus ou en moins. Au cours des années qui vont de 1900 à 2010, la progression thermométrique, liée elle-même au réchauffement dont il est tant question, serait, de façon caractéristique, plus considérable, pouvant atteindre un degré centigrade - ou même davantage.
Or le GIEC, pour le XXIe siècle, envisage, à propos des événements climatiques extrêmes comme ceux de 2003, une hausse probable ou possible des températures de 1 à 3 0C pour les années 2050 ; et même 2 à 5 0C pour les décennies 2090 ou 2100. De tels chiffres sont calculés, semble-t-il, sur la base d'un prolongement des courbes thermiques actuelles et d'une appréciation des considérables volumes de gaz à effet de serre qui seront injectés dans notre atmosphère pour des raisons évidentes, industrielles et autres, au cours des quatre-vingt-dix prochaines années. Et cela malgré les vaines objurgations et supplications de climatologues toujours plus angoissés...
Sommes-nous vraiment dans ce cas devant une fatalité, un fatum à la romaine ? L'auteur du présent article n'est pas à même de conclure sur ce point redoutable mais l'inquiétude demeure en présence d'accroissements thermiques tellement considérables, du moins si on les compare aux menues oscillations des siècles passés telles que les calculait précédemment le professeur Mauelshagen.
Emmanuel Le Roy Ladurie, de l'Académie des sciences morales et politiques. Professeur honoraire au Collège de France, ex-administrateur général de la Bibliothèque nationale. Né en 1929, il a été un des pionniers de la micro-histoire avec "Montaillou, village occitan" (Gallimard, 1975) et l'auteur d'une "Histoire humaine et comparée du climat" en trois volumes (Fayard, 2004-2009).
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