mercredi 27 juillet 2011
L'identité humaine en question
« À la différence des mères porteuses, notait récemment Pierre Le Coz, du Comité national d'éthique, les neurosciences font peu débat, bien qu'elles emportent des conséquences beaucoup plus graves. » Parce qu'elles touchent plus directement encore la base même de l'identité humaine associée au système nerveux et au cerveau.
Les progrès spectaculaires de la biologie moléculaire et de l'imagerie médicale permettent de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, la communication entre ses cellules et la répartition des fonctions selon ses régions. Les malades mentaux en attendent beaucoup ainsi que les victimes de dégénérescence nerveuse de type parkinson ou alzheimer. Et, grâce à des mini-caméras reliées à des électrodes implantées, des aveugles peuvent désormais reconnaître des lettres. Le développement des nanotechnologies devrait encore améliorer ces résultats.
Dans le même temps, les risques liés sont si considérables qu'une discipline nouvelle a vu le jour : la neuroéthique, confrontée au danger majeur de manipulation mentale. Ainsi, les implants cérébraux, qui améliorent la vie de 40 000 parkinsoniens, pourraient être utilisés à des fins de conditionnement des individus, par neuro-stimulation. L'imagerie cérébrale permet de suivre l'activité du cerveau et, puisqu'elle sert déjà de détecteur de mensonges, elle pourrait aussi être utilisée pour traquer « scientifiquement » les opinions déviantes. Ce n'est plus de la science-fiction !
Le cyborg, à la fois homme et machine, existe bel et bien et cela depuis l'invention du stimulateur cardiaque. Le symbole le plus spectaculaire est l'athlète sud-africain Oscar Pistorius, médaillé d'or au 200 mètres des paralympiques grâce à ses tibias en fibre de carbone. Conséquence : la frontière entre l'homme et la machine devenant plus incertaine, croît d'autant le risque d'emprise et de manipulation.
Tout ceci suscite d'immenses interrogations quant à notre identité. Quel est le propre de l'homme face à l'animal ou à la matière, fût-elle technique ? Que 98 % de nos gènes soient communs avec les chimpanzés en trouble plus d'un (1), et il est vrai que certains comportements pourraient faire douter de la différence ! Mais n'est-ce pas aussi la preuve que la génétique n'est pas tout, que notre nature transcende la seule biologie tout en étant conditionnée par elle. Quand le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux proclame que « l'homme n'a plus rien à faire de l'esprit » et qu'il lui « suffit d'être un homme neuronal », c'est-à-dire un assemblage de cellules et de connexions, c'est sur la base de l'idée qu'un jour on saura tout de lui et que tout sera expliqué. Car, dit-il, il n'y a pas d'inconnaissable. Il n'y a que de l'inconnu provisoire. C'est le credo du scientisme et de son effrayant projet de totale maîtrise.
À quoi l'on peut répliquer que 100 000 livres ne viendront jamais à bout de ce qui fait la particularité d'un seul d'entre nous. Et cela parce qu'il est au-delà de tout ce qui apparaît de lui. En excès, insaisissable, inépuisable. Que le cerveau soit une condition de notre vie psychique et morale n'autorise pas à dire qu'il en est l'origine, pas plus que le fusible du frigo n'est la cause du froid. La matière neuronale est le sous-sol sur lequel s'édifie l'existence bien loin de s'y réduire, pas plus qu'une cathédrale ne pourrait être ramenée, au motif qu'elle est faite de pierre, à un chapitre de minéralogie.
(1) J.-M. Schaeffer, La fin de l'exception humaine, Gallimard, 2007.
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