Un mauvais air flotte sur l'Europe. Une mémoire obsessive d'un passé ravageur y respire l'odeur de grisou des années 30. C'est un sentiment, Dieu merci, tout à fait exagéré ! Mais on ne peut ignorer pour autant les nuages de populisme xénophobe qui infectent, ici et là, un continent fragile.
On ne mettra pas dans le même sac l'extrême droite de l'Europe de l'Est et les colères danoises ou néerlandaises, ou encore l'accès de fièvre italien, voire français, avec le regain du Front national. On ne confondra pas non plus les boucs émissaires que sont, selon les pays, ici les juifs et les banques, là la Commission de Bruxelles ou ailleurs les immigrés. Observons que nulle part ne se lève une idéologie antidémocratique susceptible d'emporter nos régimes. Evitons donc les prophéties de malheur qui concourent au malheur même en répandant sa fatalité !
Cela dit, pour l'Europe de l'Ouest où nous vivons, ces mauvais nuages parlent le langage des signes. Ils nous disent les dangers conjugués d'un funeste trio : la crise financière qui nous trouve couchés mais les grands pays émergents debout ; la faiblesse persistante de la construction européenne ; et le malaise d'une immigration mal gérée qui devient la victime expiatoire de toutes sortes de ressentiments. Dans cette mauvaise passe, les peuples s'éloignent de nos pouvoirs incompris, et dont le babil inquiète.
De la grande crise financière la révélation magistrale n'est pas celle qu'on nous rabâche. Elle est bel et bien que nos pays dits « avancés » reculent et que les pays dits « émergents » ont cessé d'émerger : ils submergent. Constatons seulement que la production, en quatre ans, aura augmenté en Asie de 29 % et reculé de 2 % en Europe. Devant cette formidable évidence - et qui redessine la carte du monde -, les emplâtres promis à la sphère financière seront bienvenus, mais il est vain d'en attendre merveilles. La spéculation est à la finance mondiale ce que le dopage est au sport : un mal à combattre mais qui ne condamne pas le sport. Le vaste monde ne condamne pas non plus l'économie de marché. Si la crise a installé chez nous le marasme, elle n'a pas empêché les pays émergents de continuer à caracoler. Certes, ils viennent de loin. Mais ils ont, eux, le sentiment de vivre encore au-dessous de leurs moyens. Et nous, au-dessus. De quoi chambouler les humeurs nationales : chez eux confiantes, chez nous mélancoliques.
L'Europe communautaire devrait constituer dans cette nouvelle conjoncture sinon la panacée, du moins le bloc consistant des résistances. Elle en a la puissance, et une capacité théorique refusée aux pays sous-dimensionnés qui la constituent. Mais l'Europe reste un nain politique et un géant économique divisé, miné qu'il est par la disparité de ses nations.
La première d'entre elles éclate sous nos yeux : celle des cigales et fourmis que la quasi-faillite grecque étale au grand jour. La fourmi allemande aura beaucoup regimbé pour aider la cigale méditerranéenne. Pour finir, la sagesse a prévalu de ne pas jeter l'euro communautaire avec l'eau sale des tricheries et des endettements abusifs. Ainsi des pays comme l'Allemagne et la France, qui empruntent encore à 3 %, prêteront au taux de 5 % à un quasi-failli qui dut emprunter, lui, au taux suicidaire de 7 à 8 %. Le sapeur Camember, ainsi, creusait des trous pour en combler d'autres...
Mais pas de moquerie ! Sauver l'euro valait vraiment qu'on se décarcasse. On gardera néanmoins à l'esprit le fossé dévoilé entre les fourmis du Nord et les cigales du Sud. Il met à son juste poids notre Union méditerranéenne, un club de cigales qui, par les temps qui courent, ne fait guère recette.
Aujourd'hui que l'échec possible de l'euro et de l'union monétaire a tout un temps rôdé sur le continent et titillé les marchés mondiaux, il est sain de rappeler que sans l'euro et l'Europe communautaire plus d'un pays du continent irait à la dérive. On peut alors, avec un peu d'optimisme, escompter que s'imposera la nécessité d'une gouvernance économique avec son lot d'harmonisations, fiscales et autres.
Mais il faut, je le crains, beaucoup d'optimisme - et trop peut-être ! - pour imaginer que l'euro soit déjà tiré d'affaire. Et que l'Europe communautaire, ingouvernable à 27, entreprendra d'elle-même la cure qui s'impose. A moins qu'elle ne se donne d'abord la fessée qu'elle interdit à ses citoyens ! Sans doute faudra-t-il, entre la fourmi allemande et la cigale française, bien des efforts et compromis pour entraîner une machinerie rétive. On dira que, le dos au mur, nécessité fait loi. Mais cette fameuse « nécessité » n'apparaît guère à des peuples drogués de démagogie. Elle ne prévaudra que sous l'empire, aujourd'hui inaudible, de la vérité.
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