TOUT EST DIT

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mercredi 12 mai 2010

La stratégie à hauts risques de M. Strauss-Kahn

Quand Michel Rocard conduit le Parti socialiste à la déroute aux élections européennes de 1994 (14,49 %), il ne perd pas seulement son poste de premier secrétaire, il voit s'évanouir son statut de "candidat naturel" à la présidentielle de 1995.

Jacques Delors, dont le mandat de président de la Commission européenne s'achève début 1995, devient dès lors le "candidat virtuel" du PS. Pendant six mois, on guette les signes de son entrée en campagne avant que le père de Martine Aubry ne jette l'éponge.

Un scénario similaire aurait pu s'imaginer pour Dominique Strauss-Kahn. Quand, à l'automne 2007, l'ancien ministre de Lionel Jospin est nommé, avec l'appui de Nicolas Sarkozy, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), pour un mandat de cinq ans qu'il s'engage à honorer jusqu'à son terme, en octobre 2012, il prévient ses amis : "Je m'éloigne juste un peu, confie-t-il le 8 octobre 2007, le temps de me faire désirer."

A l'image de M. Delors en 1994, "DSK" endosse les habits de "candidat virtuel" du PS pour la présidentielle de 2012. Au congrès de Reims, en novembre 2008, les fabiusiens et une partie des strauss-kahniens s'allient à Martine Aubry sur l'idée de dissocier le poste de premier secrétaire du PS de la fonction de "candidat naturel". Il s'agit alors de contrer les ambitions de Ségolène Royal, qui veut conquérir la direction du PS en posture de présidentiable. L'élection de la maire de Lille conforte d'autant plus les ambitions de M. Strauss-Kahn que ses premiers mois ressemblent à une descente aux enfers, accentuée par un échec cuisant au scrutin européen de juin 2009, où le PS (16,48 %) est talonné par Europe-Ecologie. Une voie royale s'ouvre devant M. Strauss-Kahn. Mais, à l'automne 2009, Mme Aubry reprend la main, lance la rénovation, assoie son autorité et triomphe, en mars, aux régionales.

Face à une première secrétaire qui a l'indéniable avantage d'être "en situation", le patron du FMI recourt avec art au grand écart : faire de son éloignement de la scène française un atout pour conforter le désir de le voir revenir. La crise financière le place en première ligne sur la scène mondiale. Incontournable dans son dénouement, il joue à égalité avec Barack Obama et les chefs d'Etat de la planète. Il se fait l'apôtre de la régulation des marchés. Le "candidat virtuel" engrange comme autant de dividendes les combats remportés contre la spéculation.

Interdit de toute parole politique en France, M. Strauss-Kahn joue l'Arlésienne. Mais une Arlésienne qui envoie en permanence des messages subliminaux. Son omniprésence sert son absence. Epaulé par une équipe de communicants hors pair - Stéphane Fouks, Gilles Finchelstein, Anne Hommel, Ramzi Khiroun -, présent dans la garde rapprochée de Mme Aubry, où figure son principal lieutenant, Jean-Christophe Cambadélis, il déploie sa stratégie.

Tantôt le "candidat virtuel" est concentré sur le seul FMI, tantôt il se prépare. Tantôt il fait une apparition, soigneusement médiatisée, tantôt il réfléchit. Il fait filtrer dans la presse des propos, en date du 3 février, dignes d'un prophète parlant à ses disciples : "Je suis encore dans une phase de réflexion. Mais, si on vous pose la question, ditesque je réfléchis." En même temps, il confie, le 18 avril, à la chaîne américaine CNN : "Peut-être que je resterai encore au FMI pendant des années et des années. Qui sait ?"

Une rafale de livres fait vivre, surtout en bien et un peu en mal, le "candidat virtuel", distillant même des notes plus ou moins fantaisistes où il répartit déjà les places après son élection à l'Elysée.

Et puis il y a les sondages qui, invariablement, font de M. Strauss-Kahn le super favori pour 2012. Dans le dernier sondage IFOP, à paraître le 13 mai dans ParisMatch, le patron du FMI arrive, avec 27 % (+ 4 points), nettement en tête de ceux que les Français souhaitent voir représenter le PS en 2012. Avec 12 %, Mme Aubry est troisième, derrière Mme Royal, 15 % (+ 6 points). Une chute de 8 points qui sanctionne l'absence de Mme Aubry - partie à l'Exposition universelle de Shanghaï pour, après son voyage en Inde, construire son image internationale - de la scène française au moment de la phase aiguë de la crise de l'euro.

Dans un second tour face à M. Sarkozy, "DSK" a été donné plusieurs fois gagnant, Mme Aubry deux fois. Mais deux éléments nuancent la florissante popularité du "candidat virtuel". Le premier est qu'il bénéficie d'une forte bienveillance de l'électorat de droite. Le second est qu'il apparaît souvent en tête des personnalités qui incarnent l'opposition à M. Sarkozy alors que son statut de patron du FMI lui interdit un tel rôle...

Dans la crise, M. Strauss-Kahn a joué avec maestria. Ses compétences sont universellement reconnues. Sa crédibilité économique a été renforcée, profitant par ricochet au PS. Mais cette onction est aussi un piège. Le soutien que le directeur général du FMI a dû apporter aux plans d'austérité mis en oeuvre, et d'abord en Grèce - dont le premier ministre, Georges Papandréou, est aussi le président de l'Internationale socialiste - suscite déjà l'hostilité de la gauche de la gauche. Même si Mme Aubry a concédé, le 11 mai, que "la situation serait peut-être pire" si "DSK" ne dirigeait pas le FMI.

L'ambivalence du compliment donne la mesure de la stratégie à hauts risques de M. Strauss-Kahn. Le calendrier le dessert. La primaire pour désigner le candidat du PS est prévue en septembre-octobre 2011. Or on voit mal le patron du FMI abandonner son poste alors que la France présidera jusqu'en novembre 2011 le G20 et le G8.

S'il revient, l'apôtre du "réformisme radical" incarnera la rigueur, s'attaquant en priorité à la dette et aux déficits. Une certaine continuité économique face à un électorat de gauche qui rêvera sans doute de rupture avec le sarkozysme. Le meilleur scénario pour "DSK" serait que le PS se passe de primaire et fasse appel à lui. Il suppose l'échec de Mme Aubry - qui, si elle ne s'est pas déclarée, se comporte de plus en plus en "candidate naturelle", opposant sa proximité à son éloignement - et le renoncement d'autres postulants, comme Mme Royal.

Face au buzz médiatique autour de M. Strauss-Kahn, Mme Aubry n'a pas été inerte. C'est à Laurent Fabius qu'elle a confié la convention sur l'international (9 octobre) et non à M. Cambadélis, chargé de ce secteur. Après la sortie d'une enquête sur le patron du FMI dans Le Point (1er avril), elle a retiré à Christophe Borgel, autre strauss-kahnien chargé des élections, la préparation des cantonales et des sénatoriales de 2011 et des législatives de 2012, qu'elle a confiée à François Lamy, son bras droit.

La direction du PS donne à la "candidate naturelle" plusieurs longueurs d'avance sur le "candidat virtuel". Quitte à le transformer en "candidat fictif" ?

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