Viviane Reding est commissaire européenne, chargée de la société de l'information et des médias. Elle représente notamment l'Union européenne dans les négociations sur le contrôle de l'Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), la principale autorité de régulation de l'Internet, dont le contrat arrive à échéance le 30 septembre. Dans un entretien exclusif au Monde.fr, Mme Reding juge que "le contrôle du gouvernement américain sur l'Icann se termine".
L'accord entre l'Icann et le département du commerce américain (Joint Project Agreement ou JPA) arrive à échéance le 30 septembre. Quels éléments contient le nouveau document, qui doit être présenté au début du mois d'octobre ?
Si l'accord demeure le même que celui dont nous avons pris connaissance, le contrôle unilatéral des Américains sur l'Icann se termine. L'Icann devient indépendant par rapport au gouvernement. En mai, j'avais appelé à une sorte de "tribunal", une instance à laquelle on peut s'adresser, en cas de problème avec les décisions de l'Icann. Nous aurons à présent quatre review panels indépendants, c'est-à-dire quatre mini-tribunaux, un s'occupant de la concurrence, l'autre de la sécurité des réseaux, le troisième de la gestion des données par les détenteurs des noms de domaine (registrants) et un quatrième sur l'intérêt public. Ces quatres panels doivent vérifier si le principe du droit et de la gestion équitable sont respectés.
J'avais aussi demandé l'internationalisation et une approche multilatérale. C'est le cas : les personnalités qui vont être nommées dans ces quatre instances le seront par le Governmental Advisory Committee (GAC) [ndlr : composé de représentants des Etats et d'organisations internationales, rouage essentiel dans la nomination du bureau directeur de l'Icann], et par le directeur de l'Icann. Ceci suppose donc aussi une réforme du GAC, afin de rendre toutes ces mesures opérationnelles.
Comment analysez vous l'initiative américaine ?
Il s'agit d'une ouverture historique, qui vient après de longues années, où il ne se passait rien. Lorsque d'un côté l'Europe parle d'une seule voix et que de l'autre un nouvel état d'esprit anime les Américains, les choses commencent à marcher. Depuis le président Clinton, la Commission et l'Union européenne négocient avec les Américains pour mettre fin à ce contrôle unilatéral d'un gouvernement sur l'Icann. Pendant tout le mandat de George W. Bush, toutes ces négociations n'ont mené à rien et, lorsque le président Obama a obtenu sa victoire, j'ai lancé un message aux Américains. Il a été suivi par l'Union européenne à l'unanimité, par la voix de son conseil des ministres des télécommunications et de ses négociateurs, qui sont allés à Washington pour parler avec l'administration Obama. Ce mouvement historique laisse entrevoir un Internet libre de toute intervention politique, et des mesures qui permettent aussi à la société civile ou économique d'avoir un droit de regard.
En mai, vous appeliez à l'instauration d'un "G12 de la gouvernance de l'Internet", un groupe informel de représentants des gouvernements qui pourrait formuler des recommandations à l'intention de l'Icann. Cette idée a-t-elle été abandonnée ?
Ce que je voulais, c'est qu'il y ait une supervision multilatérale, et donc je considère que ces review panels indépendants vont dans cette direction. J'ai fait une proposition, on peut en faire une autre. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une supervision. Il faut savoir qu'il n'y a pas seulement ceux qui pensent comme l'Union européenne et comme les Américains, il y a maintenant d'autres approches, comme celles de la Chine ou de la Russie. Nous voulons qu'il y ait dans le monde une grande majorité de nations qui s'engagent pour la liberté de l'Internet.
Il sera désormais très important de faire le pont entre le forum de la gouvernance de l'Internet (IGF), qui a été voulu par l'Union européenne lors du sommet de Tunis en 2005, et qui est ouvert à la société civile, et le GAC. La prochaine réunion de l'IGF, à Charm el-Cheikh (Egypte) en novembre, sera d'une grande importance pour créer des liens entre les deux institutions.
Le JPA ne prend pas en compte une fonction cruciale de l'Icann, la fonction dite IANA, qui porte sur la gestion du serveur racine, au cœur du fonctionnement d'Internet. Comptez-vous aborder cette problématique avec le gouvernement américain ?
Nous allons sûrement aborder ces questions, mais dans un second temps. Ce qui est très important, pour le moment, c'est que les choses évoluent dans le bon sens. Il y a finalement une ouverture, et nous sommes en train d'établir des bases pour que ce réseau mondial puisse rester indépendant et que la liberté de l'Internet soit garantie.
J'ai toujours demandé que l'on tienne compte de la manière dont Internet est organisé, de la réalité multiculturelle du monde. L'Internet ne peut pas être seulement anglais, il doit être aussi arabe, bulgare et grec, iranien, chinois… La prise en compte de toutes les communautés de l'Internet doit se faire.
Quelles sont les prochains rendez-vous de la gouvernance d'Internet ?
Le prochain pas est la mise en place du nouveau système. Si les annonces ont lieu le 1er ou le 2 octobre, il faudra à ce moment-là songer à leur mise en pratique. Le GAC va alors se réunir. Il y aura le sommet de Charm el-Cheikh, où l'on va écouter la société civile, et établir ce pont avec le GAC. Ce que l'on a souvent voulu obtenir les uns contre les autres, à Tunis notamment, est en train de devenir réalité.
Propos recueillis par Laurent Checola
jeudi 1 octobre 2009
Viviane Reding : "Vers un Internet libre de toute intervention politique"
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