Les Echos d'où je tire souvent certaines informations livre aujourd'hui une analyse de la croissance Française vue par des spécialistes qui s'étaient trompés à ce sujet, voilà quelques mois.
Nicolas Bouzou, Asterès
"La croissance du PIB a atteint 0,6% au 1er trimestre 2008 (soit 2,4% en rythme annualisé, 2,2% sur 1 an). C'est clairement un bon chiffre. Ce chiffre constitue également un signal encourageant de par sa composition. Déjà, la contribution des stocks est nulle. La croissance n'a donc pas été tirée par un effet technique et temporaire de restockage. Mais le phénomène le plus notable tient au changement de moteur de l'activité. En effet, ces dernières années, l'économie française s'était reposée sur le couple consommation / investissement logement, alors que la contribution des entreprises (investissement / exportations) avait eu tendance à tirer la croissance vers le bas. La configuration est désormais inverse. La consommation des ménages est à l'arrêt (+0,1%) en raison de la montée de l'inflation qui a amené les Français à restreindre leurs dépenses sur certains postes (en particulier l'habillement). L'investissement logement est stable, en raison du retournement cyclique du marché du logement et du resserrement des conditions financières.
En revanche, l'investissement des entreprises non financières a progressé de 1,8% au T1 2008. Il s'agit du 5ème trimestre consécutif de forte hausse. Ce phénomène s'explique de deux façons. D'une part, le taux de dépréciation du capital est aujourd'hui beaucoup plus rapide qu'il y a 10 ans. Le matériel perd plus vite sa valeur en raison d'un flux d'innovation plus rapide. Conséquence : le renouvellement du stock de capital se fait de plus en plus souvent (dit plus trivialement : on ne change plus les ordinateurs tous les 10 ans mais tous les 2 ans). D'autre part, l'intensité de la compétition internationale oblige les entreprises à gagner en productivité, et donc à investir.
Les exportations ont progressé de 3,1% au T1, un chiffre là encore élevé, surtout dans un contexte marqué par le niveau record de l'euro / dollar. Il faut y essentiellement y voir la très bonne tenue de l'activité chez nos principaux partenaires commerciaux, Allemagne en tête (+1,5% au T1). Autre facteur de soutien : la demande en provenance des pays émergents reste très forte, ce qui profite aux exportations de certains biens de consommation et d'équipement. Autre bonne nouvelle : la révision à la hausse de la croissance en 2007, laquelle a finalement atteint 2,1% (chiffre corrigé des jours ouvrables). Le mystère des 320 000 créations d'emplois enregistrées l'année dernière s'éclaircit donc un peu.
Deux commentaires pour nuancer toutefois. Le premier est lié aux effets de la politique économique menée depuis mai dernier. Disons le clairement : ils sont difficilement visibles. La défiscalisation des heures supplémentaires n'a pas empêché la consommation des ménages de freiner fortement. Même chose pour la trentaine de mesures prises en faveur du pouvoir d'achat mises régulièrement en avant pour le gouvernement. La seule chose véritablement visible, c'est le creusement du déficit public, à 2,7% du PIB en 2007 contre 2,4% l'année précédente. Autrement dit, le gouvernement se réjouit de bons chiffres dont pas grand-chose de tangible ne montre qu'ils puissent être mis à son crédit.
Deuxième commentaire : il est clair que les données mensuelles dont nous disposons sur l'industrie, le commerce extérieur et les achats des ménages suggèrent que la croissance du PIB sera faible au T2, de l'ordre de 0,3%. Dans ces conditions, la croissance du PIB atteindrait 1,8% sur l'ensemble de l'année 2008. Ce qui n'est pas catastrophique, mais pas satisfaisant non plus."
Mathieu KAISER, BNP Paribas
"Le PIB a progressé de 0,6% au premier trimestre, une bonne surprise dans le contexte actuel de haute incertitude et de difficultés multiples pour l'économie mondiale. La croissance du quatrième trimestre 2007 a cependant été revue légèrement en baisse, à 0,3% contre 0,4% publié précédemment. Au total, l'acquis de croissance ressort à 1,4% à la fin du premier trimestre, ce qui rend très probable une croissance annuelle supérieure à 1,5% en 2008.
Au premier trimestre, la composition du PIB a cependant fait apparaître un certain déséquilibre entre ménages et entreprises. Les dépenses des ménages ont été durement affectées par l'accélération de l'inflation et la stabilité (au mieux) de leur pouvoir d'achat. Consommation et investissement des ménages ont nettement ralenti, affichant une stagnation (0,1% t/t) après un dernier trimestre 2007 dynamique (0,6% et 0,8% t/t respectivement). Les mesures gouvernementales en faveur de la demande des ménages (paquet fiscal, déblocage de la participation) ont apparemment eu un effet plus que limité début 2008.
En revanche, les entreprises ont contribué fortement à la croissance au premier trimestre. Leurs exportations ont bondi à 3,1% (après -0,2% au quatrième trimestre). On pouvait s'y attendre au vu des chiffres du commerce extérieur en valeur, même si l'ampleur du rebond était difficile à anticiper. Leur investissement a suivi en accélérant à 1,8% t/t après 1,2% au quatrième trimestre. Au vu de la confiance et des investissements des entreprises rapportés par les dernières enquêtes de l'Insee, au vu surtout d'un environnement particulièrement peu porteur depuis l'été dernier (ralentissement américain, freinage de la consommation, resserrement des conditions de financement), cette accélération étonne.
Cela dit, le retournement des données économiques concernant directement les entreprises (climat des affaires, production, exportations) ne date concrètement que de mars. La majeure partie du premier trimestre se serait donc plutôt mieux passée que prévu, mais le ralentissement se ferait sentir à partir du deuxième trimestre, voire du deuxième semestre si les mesures en faveur des ménages finissent par avoir un effet positif. En tout état de cause, le maintien de l'inflation autour de 3% pendant la majeure partie de l'année conservera les finances et les dépenses des ménages sous pression. Plus généralement, tous les indicateurs avancés suggèrent que le freinage sera inévitable dans le courant de l'année, ce qui paraît logique étant donné les tensions multiples présentes dans l'environnement économique: modération de l'activité aux Etats-Unis, flambée des matières premières, euro élevé, difficultés du secteur financier européen, resserrement des conditions de crédit.
A noter, la croissance 2007 a été revue en hausse, de 1,9% à 2,1% (en données désaisonnalisées et corrigées des jours ouvrés). Cela a impliqué une révision à la baisse du ratio de dette publique, à 63,9% (contre 64,2% annoncés initialement), mais n'a pas modifié le ratio de déficit public (2,7%). Bien que les prévisions de croissance actuelles du gouvernement pour 2008 soient réalistes (1,7%), leur réalisation marquerait un ralentissement qui se traduirait par une dérive du déficit vers les 3% du PIB. Les révisions d'aujourd'hui n'empêcheront donc pas la Commission européenne d'adresser à la France une "recommandation politique" dans les semaines qui viennent, afin de prévenir le franchissement de ce seuil."
Alexander Law, Xerfi
"Voilà un chiffre bien flatteur pour l'économie française. La croissance économique est ressortie à 0,6% au premier trimestre, ce qui correspond à un glissement annuel de 2,2%. Le tout avec une contribution nulle des stocks. Mieux encore, en rythme annualisé, la hausse du PIB ressort à 2,6%, loin, très loin devant le 0,6% enregistré aux Etats-Unis ou le 1,2% espagnol. De plus, la croissance 2007 a été revue à la hausse à 2,1% (le chiffre grimpe même de 0,1 point si l'on fait abstraction de la correction des jours ouvrables). Il n'en faudrait pas plus pour en conclure que l'économie de la France est sacrément résistante et immunisée contre la crise.
Hélas, loin de nous rassurer complètement, les comptes du premier trimestre servent plutôt de miroir déformant de la réalité économique française : Premier constat. Les ménages, qui sont pourtant traditionnellement le moteur le plus robuste de notre croissance sont en train de lâcher prise. La dégradation à la vitesse grand V de leur moral, le moindre recours au crédit à la consommation, le pic d'inflation, la perte de vitesse du marché du travail: tous les éléments sont réunis pour freiner la consommation cette année. D'ailleurs, les dépenses des ménages n'ont progressé que de 0,1% en T1, soit la plus faible hausse depuis T2 2006. Par ailleurs, l'investissement logement a stagné en ce début d'année: on n'a pas fait pire depuis le troisième trimestre de 2001. Cette donnée prouve au passage que le marché immobilier est bel et bien en train de se retourner. Et une fois que le mouvement est en marche, il est bien difficile de l'arrêter.
Deuxième constat : le commerce extérieur apporte une contribution positive à hauteur de 0,3 point à la hausse du PIB. Dans un contexte de ralentissement de la conjoncture internationale et de vigueur étouffante de l'euro, cela paraît particulièrement méritoire. Cela étant, les données du mois de mars ont fait état d'un déficit commercial record de l'économie française, avec une chute vertigineuse des ventes vers l'étranger. Il faut donc s'attendre à un résultat bien moins bon au deuxième trimestre. Et même si le commerce extérieur venait à contribuer de nouveau positivement à la croissance, cela s'expliquerait essentiellement par l'atonie de la consommation qui modère la demande pour les biens importés.
Il faut toutefois saluer la bonne tenue de l'investissement des entreprises. Dans un contexte d'incertitudes conjoncturelles et de crise financière, la hausse de 1,8% des dépenses d'équipement apparaît très substantielle. Cela dit, il faut également y voir la volonté des chefs d'entreprise de réaliser des gains de productivité afin de rationaliser leur processus de production, sur fond d'intensification des pressions concurrentielles.
L'économie française s'en est donc bien sortie du premier trimestre. Cependant, nous sommes désormais rentrés dans une zone de forte turbulence et T2 devrait être nettement moins bon. Car les vents contraires qui ont soufflé sur l'Hexagone ne se sont pas dissipés, tant s'en faut. Tant que l'inflation restera à si haut niveau, que l'euro sera si vigoureux et que la crise financière ne sera pas réglée, aucun économiste, ni aucun gouvernement ne pourra crier victoire."
Marc Touati, Global Equities
"L'embellie du premier trimestre ne va pas durer. Même si la première estimation de la croissance du premier trimestre est supérieure aux attentes (avec +0.6 % après +0.3 % au quatrième trimestre 2007), la tendance au ralentissement de la croissance française n'est pas remise en cause. Ainsi, après avoir péniblement atteint les 1,9 % en 2007, la croissance hexagonale se dirige doucement mais sûrement vers la barre des 1,5 % qu'elle devrait d'ailleurs rapidement enfoncer. Après avoir atteint 2,4 % au troisième trimestre 2007, puis 2,2 % au quatrième, le glissement annuel du PIB se stabilise à ce rythme de 2.2 % et devrait ralentir encore dans les trimestres à venir. Compte tenu de sa variation du premier trimestre, le PIB dispose d'un acquis de croissance de 1,36 %.
Et le plus dur reste à venir. En effet, jusqu'à présent, l'économie française a pu bénéficier d'une bonne résistance de l'investissement des entreprises (en hausse de 1.8 % au 1er trimestre après +1.2 % au quatrième trimestre 2007) et de la consommation, qui commence d'ailleurs à s'effriter au 1er trimestre avec une hausse de seulement 0.1 % après +0.6 % au quatrième trimestre 2007. Malgré cela, la contribution de la demande intérieure hors stocks s'est avérée être encore positive, de 0.4 point de pourcentage (après 0.6 au quatrième trimestre 2007), alors que la variation des stocks était nulle (après avoir contribué négativement à hauteur de 0.6 point de pourcentage à la croissance du 4ème trimestre). Le commerce extérieur a encore contribué à hauteur de 0.3 point de pourcentage à la croissance, comme au quatrième trimestre 2007.
Mais des résultats beaucoup moins favorables devraient être enregistrés dans les prochains trimestres. C'est du moins ce qu'indiquent les dernières enquêtes de l'INSEE auprès des ménages, mais aussi des chefs d'entreprise tant dans l'industrie que dans les services.
Dans ce cadre, une croissance de plus en plus proche de zéro devrait être observée au cours des trois derniers trimestres 2008. Cela signifie qu'en dépit d'un premier trimestre correct, la croissance du PIB devrait avoisiner les 1,4 % en moyenne sur l'année 2008.
Cette piètre performance aura trois conséquences majeures. Primo, l'emploi devrait nettement décélérer et le chômage rester sur une tendance légèrement haussière. Secundo, le pouvoir d'achat devrait se dégrader de nouveau. Tertio, le déficit public devrait atteindre sans difficulté les 3 % du PIB dès cette année. Autant d'évolutions qui pèseront sur le moral des ménages, le climat des affaires dans l'industrie et les services mais aussi sur la crédibilité de la France sur la scène internationale.
Autrement dit, compte tenu de ces résultats bien peu reluisants, la reprise est loin d'être acquise pour 2009. En fait, il nous faudra attendre la baisse du taux refi de la BCE, le repli de l'euro vers des niveaux plus normaux et le reflux des cours du baril pour espérer une reprise qui se produira environ neuf mois après que ces trois évolutions aient eu lieu. Seule lueur d'espoir, ces trois évolutions étant directement liées, elles se réaliseront quasiment en même temps. En conclusion, nous sommes malheureusement contraints de confirmer que la croissance avoisinera les 1,4 % cette année, puis les 1,8 % l'an prochain et retrouvera enfin la barre des 2 % en 2010. Mieux vaut tard que jamais."
L'avenir nous promet certainement des surprises.
vendredi 16 mai 2008
CROISSANCE.
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