mardi 9 décembre 2014
Fisc : salauds de contribuables !
Jean Nouailhac s'insurge contre la loi du 6 décembre 2013 qui déploie contre les fraudeurs ou supposés tels un arsenal répressif inédit dans une démocratie.
C'est un bien triste anniversaire pour les démocrates et les citoyens épris de liberté : on vient de "fêter", si l'on peut dire, le premier anniversaire, à marquer d'une pierre noire, de l'une des lois les plus dangereuses que le législateur français ait jamais votées dans le cadre d'une batterie fiscale qui compte déjà parmi les plus répressives du monde ! Et ce n'est pas un hasard si elle a été promulguée par un président de la République féru de droit fiscal et issu de la Cour des comptes.
La presse avait un peu parlé de cette loi du 6 décembre 2013 à l'époque parce qu'elle créait un nouveau zinzin administratif, l'"Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales", et un nouveau poste de procureur financier ayant une compétence nationale, confié à une femme de caractère, Mme Éliane Houlette. Mais elle avait été très peu détaillée et à peine expliquée.
Et pourtant, elle est à même demain de toucher n'importe quel contribuable de bonne foi - particulier ou entreprise - qui aurait pris des conseils auprès d'un avocat spécialisé, d'un expert-comptable ou d'un fiscaliste, ce qui est assez fréquent et souvent indispensable quand on a affaire à un Code général des impôts de 3 642 pages ! Elle prévoit que l'un et l'autre, le contribuable et le conseil, peuvent être poursuivis comme des criminels ou des terroristes si l'administration fiscale considère qu'ils ont fraudé le fisc ou cherché à frauder le fisc "en bande organisée".
Pour constituer une "bande organisée", il suffit d'être deux, un contribuable et un conseil. Et dans ce cas, la machine fiscale à broyer peut se mettre en branle avec "des procédures extraordinaires et dérogatoires au droit commun, directement empruntées à la lutte contre le crime organisé", selon Roman Pinösch, avocat au barreau de Paris et contributeur des Études fiscales internationales.
Qu'on en juge : d'abord le délinquant fiscal présumé peut être mis en garde à vue pendant 48 heures, son défenseur ne bénéficiant que de trente minutes maximum d'entretien avec son client sans avoir la moindre possibilité d'accéder au dossier. Ensuite, il peut être l'objet d'une féroce répression, les peines prévues pouvant aller jusqu'à 2 millions d'euros et sept ans d'emprisonnement. Entre-temps, la nouvelle police fiscale créée par la loi pourra utiliser contre lui les mêmes moyens que ceux déployés contre le trafic international de stupéfiants, le grand banditisme et le terrorisme.
On pourra ainsi le mettre sur écoutes ainsi que l'avocat qui l'a conseillé, les espionner, lire leurs mails, saisir leurs comptes bancaires ou hypothéquer leurs biens immobiliers. Selon William Feugère, président des Avocats conseils d'entreprises, on pourra même taxer les avocats d'une amende de 5 % de leur chiffre d'affaires, avec un minimum de 10 000 euros, si leur client a fait l'objet d'un redressement. "L'optimisation fiscale est perçue comme une fraude, selon William Feugère, et les conseils sont [considérés comme] complices de délinquants en puissance."
Mais ce n'est pas tout, la loi "prend de surcroît certaines libertés avec les principes directeurs du droit de la preuve", selon Roman Pinösch : si le supposé délinquant est poursuivi pour "présomption de blanchiment", ce sera à lui d'apporter la preuve qu'il est innocent et non à l'administration de prouver qu'il est coupable. Cette inversion de la charge de la preuve est habituelle dans les dictatures et c'est même souvent à cela qu'on les reconnaît ! Et comme cette présomption de blanchiment a des critères assez larges et assez flous, rien ne peut s'opposer à ce que la police fiscale en use et en abuse à sa convenance.
Il y a encore pire : la loi crée un dispositif réellement très dangereux, celui des "lanceurs d'alerte". Des mots qui n'ont l'air de rien, mais qui gravent dans le marbre administratif un système légal de dénonciation absolument incontrôlable. Selon William Feugère, "n'importe quel salarié d'une entreprise, stagiaire ou cadre, simple employé ou délégué du personnel, pourra dénoncer cette entreprise s'il peut "relater ou témoigner de bonne foi" des faits qui seraient selon lui constitutifs d'un délit. Pas besoin de preuve. On pourra livrer autrui à la vindicte populaire, en toute bonne conscience." Ces lanceurs d'alerte, de plus, bénéficieront d'un statut totalement protecteur : ils ne pourront être ni sanctionnés, ni licenciés, ni faire l'objet de mesures discriminatoires pour avoir "collaboré avec la justice". Et en cas de litige, là aussi, la charge de la preuve sera renversée au profit du dénonciateur. Ce sera au supposé délinquant de prouver qu'il n'est pas un criminel fiscal.
Il va devenir de plus en plus difficile pour un entrepreneur, un commerçant, un banquier, un avocat ou un consultant de faire du business en France et dans des pays situés hors de la zone euro. Et ne parlons pas des créateurs de start-up qui commercent avec le monde entier, des producteurs de vins dont le centre d'activité international est à Hong Kong ou des importateurs de produits chinois qui doivent les payer en dollars. Quant au père de famille qui a acheté un appartement en Floride pour ses vieux jours sur les conseils d'un avocat de ses amis, il peut craindre le pire et son ami aussi. Voilà à quoi nous en sommes arrivés aujourd'hui, à cette loi fiscale la plus aveugle, la plus répressive et sans doute la plus arbitraire qu'un pays censé être civilisé ait jamais établie contre ses propres habitants.
Les citoyens contribuables et les entreprises n'ont plus qu'à numéroter leurs abattis, la loi du 6 décembre 2013 les considère tous comme des fraudeurs potentiels et ceux qui seront dénoncés seront poursuivis, par une police fiscale aux pouvoirs discrétionnaires, comme des criminels en puissance au même titre que ceux du grand banditisme ou du terrorisme. Si l'on avait voulu transformer la France en un gigantesque camp de concentration fiscal, avec des miradors à chaque coin de l'Hexagone, on ne s'y serait pas pris autrement.
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