Décidément, la politique c’est comme une bonne omelette : il faut d’abord commencer par casser des œufs, ça demande du temps pour obtenir des résultats, et une fois qu’on a commencé, impossible de revenir en arrière. Or, en France, si on n’arrête pas de casser les œufs, nombreux, des contribuables, il semble que, bien que les choses soient cuites, la recette ne soit toujours pas arrêtée…
En ces temps de disette intellectuelle mais pas médiatique, tout va plus vite. Il y a à peine une semaine, le 17 août dernier, Manuel Valls, le premier ministre — dont la cote de popularité semble réaliser le même parcours qu’un soufflé au fromage mal stabilisé — annonçait, le regard fixe, le menton haut et la mâchoire serré, que non, non, non, il était hors de question de commencer à changer d’un cap qu’il avait été si compliqué de fixer sur les deux précédentes années. À cette occasion, le brave Manuel, suivant religieusement la ligne insufflée par son chef, expliquait clairement que, je cite :
« La politique que le président de la République a décidé de mettre en œuvre nécessite du temps pour produire des résultats. Mais il est hors de question d’en changer. »
Voilà, c’est dit, n’y revenons plus, emballez c’est pesé, mais n’allez pas trop vite de peur que l’omelette soit mal cuite.
Malheureusement, la sérénité et la détermination affichée par les deux têtes de l’exécutif n’a pas trop bien percolé aux niveaux inférieurs et il semble que ce soit plutôt une certaine fébrilité qui règne tant dans le gouvernement que dans les rangs socialistes actuellement. Au premier rang des petits agités, on retrouve bien sûr Arnaud Montebourg qui a bien compris son intérêt à toujours se démarquer, autant que possible, de Hollande et Valls. Le voilà donc qui profite de sa Fête de la Rose, à Frangy-En-Bresse, pour expliquer sa position qui se résume essentiellement à « Pas Comme François ni Manuel, mais mieux ».
Et il aurait tort de se priver, puisque l’exécutif n’a absolument pas les moyens de se débarrasser de lui actuellement (pour nommer qui, exactement, à sa place ?) et n’a pas non plus l’envie ni l’intérêt d’afficher la moindre dissension au sein de ce que Hollande et Valls font passer pour un gouvernement. En outre, ces deux derniers étant maintenant détestés par l’opinion publique, Montebourg a tout intérêt à afficher une position aussi diamétralement opposée à la leur que possible, d’autant que cette position antagoniste peut potentiellement lui apporter le soutien des « frondeurs », ce groupe de députés socialistes dont les grognements sourds se font entendre de façon plus claire à mesure que la situation, notamment économique, se dégrade plus vite dans le pays.
Tout le reste sera donc rhétorique et consistera à arrondir les angles aigus d’un discours opposé à celui du chef de l’Exécutif par une bonne couche de bobards sucrés :
« Je suis à mon poste pour faire évoluer des politiques qui méritent d’être changées. Les choix politiques ne sont pas figés. »
En gros, il est « hors de question de changer de cap », mais on va tout de même « faire évoluer des politiques » qui « ne sont pas figé(e)s ». Quelque part, dans ce gouvernement, Le Changement, C’est Subtil, et méritera largement une exégèse pointue par les historiens lorsqu’ils devront expliquer, dans quelques décennies, le foutoir qu’est devenue la politique française dans cette période agitée.
On s’amusera ensuite à constater que la manœuvre de Montebourg, motivée à la fois par des considérations purement politiciennes (récupérer les frondeurs, présenter un jour « plus à gauche » à l’opinion publique) et pragmatique (sauver ses miches électorales si jamais tout devait partir en dissolution) a finalement été comprise par le petit Hamon, novice du gouvernement mais pas des appareils politiques où il aura usé ses fonds de culotte depuis qu’il est sorti du lycée, qui aura donc décidéd’emboîter servilement le pas du ministre de l’économie. Si le gouvernement doit se chamailler, autant que ce soit de façon magistrale.
Rassurez-vous. Tout ceci se fait, bien sûr, en bonne intelligence et dans la gentillesse moelleuse à laquelle nos socialistes nous ont toujours habitués ; si Hamon décide d’aller s’opposer au cap ferme et définitif de Valls et Hollande, s’il décide de planter un petit couteau dans le dos de son patron et du patron de son patron, c’est cependant en toute loyauté parce que c’est sacré, ça, la loyauté :
« Il y a aujourd’hui un débat, qui existe en raison de faits nouveaux : l’isolement de Mme Merkel, la menace de la déflation, et ce débat il justifie, comme beaucoup d’économistes le suggèrent, comme beaucoup de chefs de gouvernement le demandent, d’être mené. On le fait en parfaite loyauté »
Voilà, pas de problème, on se contente simplement de dire qu’on va faire autre chose que ce qui a été décidé au plus haut de l’État, mais tout sera fait en toute loyauté : on va balancer de la petite phrase assassine, dans des happenings Vins & Petits Fours au milieu de la Bresse, en toute décontraction, alors même que le capitaine a clairement indiqué qu’il fallait exclure « toute godille ou tout zigzag ». Tout ceci n’est vraiment pas très clair. Au demeurant, dans le couple clownesque formé par Hamon et Montebourg, qui est la godille, qui est le zigzag ? Montebourg le zigzag et Hamon la godille, ou est-ce l’inverse ?
Pendant ce temps, à droite, on note la dissension et on réclame bien sûr des démissions, histoire d’occuper le terrain sur le plan politique, puisqu’elle l’a totalement déserté au plan des idées et des contre-propositions raisonnées. Mais chut, ne le répétez pas : la rentrée de l’UMP n’est pas encore faite ; elle est partie en vacances il y a deux ans et demi, et ne devrait plus tarder à revenir, maintenant. Puisqu’on vous le dit.
En réalité, on assiste surtout à des petites bulles médiatiques d’effervescence montebourgeoise sans intérêt.
Oui, il est probable (et logique) que Matignon savait que Montebourg ne pourrait pas tenir longtemps sa langue, dopé aux amphétamines surdosées, se ferait un plaisir d’émettre des critiques et de prendre une position volontairement opposée à celle, officielle, du chef de l’État et de son premier ministre. C’était non seulement prévisible … mais aussi probablement souhaité. Cela comporte en effet de nombreux avantages.
D’une part, ces manœuvres montebourgeoises et la fidèle léchouille hamonesque permettent de tester le terrain, tant auprès des amis que des ennemis politiques, tant auprès de la classe politique française qu’étrangère. En fonction des réactions qu’on pourra analyser de la presse étrangère, l’exécutif français saura de quelle marge il dispose vraiment pour débiner la fermeté de Merkel, sur quelle latitude il peut compter auprès de la Commission européenne et par extension, auprès de ses partenaires européens qui continuent de grogner en ne voyant toujours s’engager aucune réforme de fond dans le pays. Autrement dit, Montebourg sert en quelque sorte de fusée d’essai. À ce rythme, rien n’interdit d’imaginer qu’il puisse un jour se poser sur Mars (qu’il y reste !) … ou d’exploser en vol (ce qui serait tout aussi possible, voire souhaitable du point de vue de Hollande).
D’autre part, ce ridicule cirque médiatique et ces merdoiements communicationnels épiques au sein du gouvernement ont la bonne fortune d’occuper la galerie. En focalisant la presse et, par voie de conséquence, une partie des Français sur les petites poussées d’urticaire d’un Montebourg frémissant d’aise de passer ainsi sur les ondes, on donne au peuple quelque chose à grignoter en attendant le mois de septembre. Ce dernier sera ensuite rempli avec les petits reportages sur les enfants qui rentrent à l’école, puis la mise en place de la nouvelle Commission, puis l’un ou l’autre sommet épuisant d’ennui et de technicité sans intérêt. Le clown Montebourg joue ici son rôle de bouffon divertissant, et il est parfait pour ça.
Parce que pendant ce temps, une chose est sûre : rien ne change à la situation. Non seulement, les solutions des socialistes sont toujours aussi ineptes, mais il semble qu’en plus, volontairement ou non, ils se chamaillent pour savoir de quelle façon débile ils vont nous enfoncer dans le trou.
Ce pays est foutu.
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