et d’en user ou n’user pas selon la nécessité ». — Machiavel, Le prince
dimanche 24 août 2014
Scrupules et crevardise
J’ai des scrupules, ce qui prouve que je ne suis pas un sociopathe. Il m’arrive quand même d’être un crevard pas bien fier…
On peut facilement confondre les scrupules habitant une âme pieuse et l’anxiété banale ressentie par bon nombre de personnes. Ainsi, tandis que j’allais dans une jardinerie à la recherche d’une piémontoire, voici ce qui m’est arrivé.
À la recherche d’un piémontoir
Avant tout cher lecteur, il faut vous préciser ce qu’est un piémontoir. C’est comme une pioche sauf que le bout pointu est en forme de hache pour trancher les racines. On l’appelle aussi pioche-hache mais c’est nettement plus savant de lui donner son vrai nom de piémontoir. Disons que cela vous classe tout de suite dans la catégorie de ceux qui s’y connaissent et non parmi les jardiniers amateurs.
Dans cette jardinerie très connue, si vous demandez une pioche-hache, on vous regardera à peine en vous désignant des outils médiocres à manche de bois. Tandis que si vous exigez un piémontoir, le vendeur devenu servile à souhait vous montrera l’outil de chez Leborgne à manche de résine destiné aux professionnels.
Sauf que vendredi, ils n’avaient pas de piémontoirs ni même de pioches basiques. En revanche, ils disposaient d’un stock de sept pelles à neige, l’outil toujours demandé fin juillet à Paris. Fort marri, je me suis donc baladé dans le rayon des plantes vivaces pour voir s’il leur restait des hostas vu que j’adore les hostas même si mon épouse me dit qu’elle aimerait voir un peu de couleur dans le jardin. Car même si les cultivateurs d’hostas se comptent par milliers, avec des tailles, des feuilles et des couleurs différents, on reste tout de même dans les tons de vert et blanc.
Dédaignant les plantes aguicheuses aux couleurs chatoyantes, je me dirigeais tout de même vers un plateau où je distinguais encore quelques hostas invendues. C’est ainsi que je chargeais mon joli petit charriot de variétés diverses et variées. Toutes valaient 7,5€ sauf un pot de plus grande contenance étiqueté à 14,90€.
Mais arrivé au moment de payer, l’hôtesse de caisse, sans doute une jeune étudiante prise pour le mois de juillet, scanna le pot que je posai sur le tapis roulant, se contentant de me demander combien j’en avais en tout. Et c’est fort benoitement et totalement pénétré du péché que j’allais commettre que je lui répondis que j’en avais six. Elle me compta donc six hostas à 7,50€ sans faire attention, qu’un des pots valait presque le double. Je fis ainsi l’économie substantielle de 7,40€ !
Mais la joie d’avoir pu ainsi tromper le grand capital fut de courte durée et aussitôt remise en question par une vague de scrupules qui m’assaillit. J’avais surtout abusé de la naïveté d’une caissière inexpérimentée. Je me voulais malin et chanceux or je n’étais qu’un minable escroc à la petite semaine : honte à moi ! Et tout cela pour une hosta et une économie de 7,40€ ! J’étais doublement minable.
Je sortis donc de la jardinerie en comparant ce que j’imaginais de moi et la réalité. Tandis que je me serais bien vu tout en haut des stades moraux de Kohlberg, voici que j’en étais réduit à jouer les petits escrocs minables. Et si la culpabilité m’assaillait là sur le parking, ce n’était pas le fait d’avoir la sensation d’avoir failli à la morale mais plutôt le fait d’avoir à écorner la belle image de moi-même. Le chevalier blanc devenait un crevard ; viendrait sans doute un jour où j’en serais réduit à changer les étiquettes avant de passer en caisse.
En achetant des cigarettes…
Une demi-heure après, Dieu dans sa grande sagesse me soumit à une épreuve qui m’aurait permis de m’en sortir la tête haute. En achetant mes cigarettes, plutôt que de me rendre 0,20€, la vendeuse étourdie me rendit 5,20€, en me gratifiant en sus d’un « au revoir et bonne journée monsieur ». Le chevalier blanc étant absent, le petit escroc minable persista et je me réjouis de l’aubaine consistant à gratter 5€ ! Et j’eus même la réflexion consistant à me dire que décidément c’était une bonne journée puisqu’en une heure, je m’étais fait 12,40€ de gratte sur mes achats ! Je hâtai même le pas afin que si d’aventure la caissière prenne conscience de son erreur, elle ne puisse sortir du tabac afin de me héler et de me faire rembourser le trop-perçu.
Et pourtant, dans les deux cas, croyez-moi, j’ai eu des scrupules à agir de la sorte, sachant bien que j’étais face à un dilemme moral consistant à choisir entre la morale transcendante, l’impératif kantien et mon intérêt propre. Le Larousse explique d’ailleurs que le scrupule est une inquiétude excessive de la conscience inspirée par un sens aigu de la perfection chrétienne. C’est une incertitude d’exigence au regard de la conduite à avoir.
Le scrupule ne se manifeste que face au silence de Dieu. Si j’éprouve du scrupule à faire ce que j’ai fait, c’est que je suis face à un choix et que je suis seul. Que, quelle que soit la voie que je choisisse, je suis seul. Je peux dans les deux cas renoncer au gain et privilégier le bien commun ou en revanche, comme je l’ai fait, me taire et privilégier mon intérêt. C’est mon libre arbitre qui se manifeste pour savoir si je suis un homme de bien ou un crevard. Ceci étant dit, si je choisis la voie du crevard, ma conscience me le rappelle.
Le scrupule ne peut s’éveiller en moi sans une profonde conscience spirituelle. Le scrupule, même si comme dans mon cas il n’empêche rien, est finalement l’exigence ultime : les tourments d’une âme saisie par quelque chose de plus grand qu’elle.
Le scrupule résiste aussi plus ou moins bien en fonction des situations sociales. Car il est évident que face à un quidam, j’aurais été honnête, n’hésitant pas à lui dire qu’il se trompait. En revanche, mes scrupules se sont émoussés dans les deux situations. Dans la première parce que cette jardinerie appartient à un grand groupe et qu’il n’y a pas de mal à escroquer un grand groupe. Dans le second cas, parce que les cigarettes sont un produit taxé à 80% et qu’il n’y a pas de mal à tenter d’échapper à ce vol manifeste. Sauf que dans les deux cas, je n’avais ni un actionnaire du groupe ni un agent de l’État mais deux simples salariés distraits. Bref, pour faire coïncider mon intérêt personnel et mon sens moral, il fallait que je distorde la réalité et je le sais.
Encore loin de Mesrine et Fourniret…
Jacques Mesrine était capricorne comme moi mais cela ne suffit pas. N’est pas Mesrine qui veut. Saisi d’effroyables tourments pour 12,40€, ce n’est pas demain la veille que je me mettrai aux braquages. Quoique, si j’étais sûr de ne pas me faire prendre ? Et si je donne dix pour cent de mes gains à une œuvre caritative ? En tant que catholique j’ai des exigences morales de protestant. Je voudrais vivre en France comme un Suédois. Et pourtant aux États-Unis, même si j’apprécie le civisme des habitants, au bout d’une dizaine de jours, je me mets moi aussi à traverser hors des clous ou quand le feu est vert pour les voitures.
Font chier ces scrupules ! En fait, j’aime juste l’idée de pouvoir me dire que je suis différent des autres. Que je peux vivre dans un pays comme la France en étant plus moral sans besoin du carcan social pour marcher droit.
Je ne suis pas tellement différent des autres. Bon j’ai des scrupules, c’est la preuve que je ne suis pas un sociopathe. Tout n’est pas perdu. Mais sur le coup, je suis tout de même un crevard ! Pas suffisamment bon pour être un saint, et pas suffisamment pourri pour faire de la politique, c’est mon drame.
Enfin, l’essence de tout cela, c’est que quelles que soient vos actions, si vous avez des scrupules, tout n’est pas perdu. Vous n’en êtes pas encore à suivre la voie d’unFourniret !
« Aussi est-il nécessaire au Prince qui veut se conserver qu’il apprenne à pouvoir n’être pas bon,
et d’en user ou n’user pas selon la nécessité ». — Machiavel, Le prince
et d’en user ou n’user pas selon la nécessité ». — Machiavel, Le prince
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