samedi 26 juillet 2014
L’insertion sociale d’un individu ne regarde que lui-même
La société se réjouit que des sans-abri puissent se réinsérer par le travail. Elle se soucie aussi un peu de leur transit intestinal.
Quelques journalistes se sont penchés récemment sur une jeune entreprise parisienne proposant des visites guidées assurées par des sans domicile fixe. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté : il y a deux ans, un jeune « entrepreneur social » faisait déjà parler de lui avec Meet My Paris, une start up s’inspirant d’initiatives néerlandaises, britanniques et brésiliennes vouées à la réinsertion par le travail.
Si l’intention est louable, le discours qui l’accompagne pose question. Dans les déclarations des fondateurs comme dans les articles qui leur sont consacrés, l’accent est mis sur la lutte contre l’exclusion sociale et le réapprentissage de la confiance en soi, auxquels travaillent déjà des associations comme La Cravate solidaire ouJoséphine pour la beauté des femmes. Mais la vision du travail rémunéré – même dérisoire – comme tremplin vers la réinsertion n’est jamais exempte de paternalisme.
Bien sûr, on ne peut ignorer l’effet marginalisant du chômage, et les premiers concernés sont aussi les premiers à le rappeler : travailler ne fut-ce que 10 heures par semaine à 10 euros de l’heure, c’est pas le Pérou mais c’est suffisant pour reprendre confiance et se remettre en selle. Ce discours qui nous est à présent familier n’a pourtant rien d’innocent. Si l’idée qu’il s’agit pour les chômeurs de reprendre le « chemin du travail » évoque le réalisme du « pas à pas », elle nous renvoie surtout à la croyance que les petits efforts fournis par l’individu au démarrage finissent par aboutir à une amélioration conséquente de sa situation – et suggère qu’en cas d’échec, l’intéressé ne doit qu’à ses mauvais choix, sa maladresse ou sa mauvaise volonté de n’avoir pas su se maintenir sur l’autoroute de la réussite.
On fait donc travailler les exclus, mais surtout, on leur fait une faveur. Ne s’y trompant pas, les journalistes louent ces entreprises qui « offrent la possibilité à des SDF de réaliser des visites guidées », leur permettant ainsi de « se réintégrer dans la société ». C’est le triomphe du marketing RH, qui donne au travail précaire ses lettres de noblesse : petite paie, grandes espérances. De quoi rassurer les près de 4 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A qui ont poussé la porte de Pôle Emploi ces derniers mois.
On en oublierait presque que le degré d’insertion sociale d’un individu ne regarde ni son employeur, ni la société, ni aucun autre observateur des « sociétés modernes ». La manière dont il entend utiliser sa paie et mettre à profit son expérience ne regarde que lui-même. Certes, le langage de l’entrepreneur social ne fait que reprendre celui des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) où se recrutent les guides. Mais la nuance est absente du discours commun sur le travail et l’insertion sociale, seule ambition possible des gens raisonnables.
À bien y regarder, les slogans de l’insertion par le travail valent bien ceux de la culture de l’effort tant appréciés par la Droite sociale de Laurent Wauquiez. Deux variétés de paternalisme, une seule réponse au chômage de masse : en attendant le retour de la croissance, les précaires sont priés de « se mettre en chemin ». Pour sûr, ça ne mange pas de pain.
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