TOUT EST DIT

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vendredi 10 mai 2013

Dailymotion, le règne de l'émotion et la daimytion de la pensée


S'il vous arrive de baguenauder sur les interwebs, d'aller titiller du lolcat et vous tenir au courant de ce qui se passe en matière de nouvelles technologies (et pas seulement en venant lire ce blog), vous êtes déjà au courant de l'affaire Dailymotion. Vous savez déjà que, dans un sursaut patriotique brouillon, le bouillant ministre du Dressement Reproductif a encore une fois saboté l'avenir d'une boîte française.
Je dis encore une fois, parce que la liste des exactions d'Arnaud Montebourg est impressionnante : en un an, il a déjà glissé ses grands doigts gourds dans un nombre considérable de petits engrenages délicats, bousillant ainsiquelques belles aventures industrielles françaises, avec force coups d'éclatsmémorables et consternants. Cette fois-ci, le chien fou, encore humide de sa baignade dans les eaux troubles de ses précédents dossiersgrossièrement bidonnés, s'est glissé dans la complexe négociation entre Dailymotion, propriété à 100% de Orange, et Yahoo : le groupe américain tente en effet de racheter tout ou partie du n°2 mondial de la vidéo en ligne, afin de former un concurrent solide contre Youtube, le solide numéro un, détenu par Google.

Le Ministre intervient donc. Inévitablement, les négociations capotent, les Américains repartent, mi-consternés, mi-furieux, et le groupe français se retrouve gros-jean comme devant, ce qui est habituel et nécessaire pour la carpette qui lui sert de PDG et qui vise, on le rappelle, à une autre place au chaud (Veolia) ce qui oblige à de bonnes relations avec le pouvoir en place et une souplesse de trapéziste italien pour se faire ainsi passer dessus sans sourciller. Pour toute oraison funèbre, Montebourg aura expliqué sur les ondes, histoire d'ajouter la bêtise à l'humiliation :
« Yahoo! veut dévorer Dailymotion. Nous leur avons dit : nan d'abord, ce sera 50-50. »
Fleur Pellerin, la déléguée chargée de rattraper les boulettes d'Arnaud, est rapidement intervenue pour dire que tout ceci n'était pas bien grave, avoir des amis c'est très utile, et avec un peu d'astuce, d'espièglerie, c'est la vie de Candy la plupart des boîtes françaises lorsqu'elles ont le culot de se faire racheter par de gros groupes américains et de devenir mondiales : on sait préserver les joyaux français, que voulez-vous.
daymolition
Las.
La pauvre Fleur, aussi sympathique et télégénique soit-elle, est de la même trempe que son ministre de patron : de brillantes études dans la morne école nationaâaale d'administration de la République suivies par une brillante (mais terriblement monochromatique) carrière à bidouiller des politicarderies ennuyeuses dans des institutions d’État aussi poussiéreuses que rémunératrices. On comprend que le résultat sera à la hauteur générale de ce qui sort de ce genre de parcours : joliment nul.
On apprend en effet qu'après ses explications vasouillardes pour tenter de rattraper le bébé dont l'eau du bain avait été vidangé au kärcher par Arnaud, la déléguée, interrogée sur la reprise des négociations entre Dailymotion et d'éventuels acquéreurs, a expliqué vouloir "un état discret".
C'est, on peut le dire, un peu tard.
Maintenant, à moins de passer son temps à mater des chats rigolos sur internet, tout le monde est parfaitement au courant que Dailymotion cherche à s'étendre, qu'il est à vendre et que l’État français (ici, son bruyant épithélium en la personne d'Arnaud Montebourg) veillera à ce que cette vente se fasse dans des conditions aussi médiatisées et aussi défavorables à l'acheteur que possible. Fleur aurait d'ailleurs intérêt à ne même plus évoquer ni le nom de Dailymotion, ni celui de Montebourg, tant la devise internet "Do Not Feed The Troll" semble à ce point idoine pour cet épineux dossier.
Ceci serait bel et bien bon si, dans l'un de ces lapsus mentaux qui caractérisent nos voltigeurs de la politique française, la déléguée n'avait pas malencontreusement ajouté, tout à trac :
"Si les capitaux qui viennent, ou les partenariats industriels qui viennent dans le tour de table pour accompagner ce développement sont américains, russes, chinois, japonais, peu importe."
Je parlais de chats rigolos. C'est le moment d'en mettre un.
Le libéral assez méchant que je suis, à la lecture d'une telle déclaration, ne peut que partir en ferventes prières pour que, oui, justement, Dailymotion soit racheté par les Chinois. Oh, oui, si le Dieu du LOL existe, il faut que Dailymotion soit racheté par les Chinois. Je crois que les semaines qui suivraient une telle annonce seraient un feu d'artifice, que dis-je, une succession de feux d'artifices, un festival pyrotechnique dans la presse à base de missiles M51 décorés de couleurs criardes et de noms amusants !
Comment, en effet, imaginer les Français en général et la presse en particulier, accepter sans broncher l'idée que le fleuron français tomberait ainsi dans l'escarcelle d'un pays réputé pour sa censure internet ? Comment imaginer la composition subtile du sourire d'Arnaud Montebourg lorsqu'il lui faudra s'enfiler ses tartines matinales de Patriotisme Economique après une telle vente ?
Relisez bien la citation au-dessus du chat rigolo. Il n'y a aucun doute, aucune ambiguïté : le patriotisme économique franchouillard ne rompt pas devant une démocratie (aussi percluse de rhumatisme soit-elle), mais s'affalerait mollement devant la ploutocratie russe (Привет, товарищ Путин !) ou mieux encore devant le totalitarisme communiste chinois. Fleur Pellerin peut bien nous expliquer que c'est un problème de forme et pas de fond(s), toute personne ayant deux sous de bon sens et un pouce opposable comprend qu'elle vient ici de raconter une énorme connerie.
Franchement, le plus gros censeur de l'internet mondial au capital du français Dailymotion, ça, ça aurait de la gueule dans le Bilan Hollande et le Bilan Pellerin (le Bilan Montebourg est déjà tellement hilarant que cela passera inaperçu). En attendant, cette saillie, et par extension, toute cette affaire, montre que nos dirigeants n'ont aucune foutue idée de ce qu'ils font et ce qu'ils racontent et que l'idéologie la plus étique leur sert maintenant de fil conducteur.
Vers le gouffre.

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