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dimanche 30 décembre 2012

Vite une moustache. Le boom du poil signe-t-il le retour de la virilité ?


Business de l'implantation de moustaches en Turquie, mode de la barbe de trois jours en Occident : le poil et la virilité semblent être de retour.

En Turquie, de plus en plus d’hommes se font implanter des moustaches ou des barbes pour gagner en crédibilité tandis qu’en Occident, les hommes reviennent à une pilosité assumée. Cela témoigne-t-il d’un retour à la virilité ?  

Stéphane Héas : Bien qu’à première vue la question de la pilosité puisse sembler frivole, ce choix consiste en réalité à une véritable participation à la scène sociale. En effet, certaines cultures et certaines sociétés sont plus ou moins tricophiles ou tricophobes, etdans certains cas, se heurter à la norme pileuse peut exposer à une véritable exclusion sociale. L’un des exemples les plus violents était le régime taliban en Afghanistan qui obligeait les hommes à porter des barbes longues de plus d’une main et à se raser le pubis sous peine d’être violemment condamnés sous prétexte de ne pas être de bons musulmans. Je ne connais pas particulièrement le cas de la Turquie qui tire sa culture à la fois de l’Orient et de l’Occident mais quelles que soient les raisons qui poussent des gens à se faire implanter une barbe ou une moustache, cela témoigne bien de l’importance de la pilosité dans les relations sociales. Cela s’explique vraisemblablement par le fait qu’une absence de pilosité faciale représente un manque de prestige qui est, comme l’on montré les sociologues Goffman et Elias, le vecteur essentiel des relations sociales.
Pour l’Occident, je ne crois pas du tout que nous soyons sortis de la logique d’extermination de la pilosité, cette réapparition dans quelques publicités et cette micro tendance sont tout juste un sursaut, un frémissement. On peut cependant penser qu’il s’agit simplement d’une timide réanimalisation de l’homme liée à une peur de la confusion des genres qui ne me semble pas vraiment concrète car les codes pileux distinguent encore radicalement les hommes des femmes.

Comment expliquer que le poil ait été chassé si longtemps et à ce point de la représentation populaire de l’homme ?

Pour comprendre l’origine de la cabale dont est victime la pilosité humaine, il faut revenir à certains travaux fondateurs de la sociologie. Déjà en 1955, Lévi-Strauss, dans ses études des peuples occidentaux, avait mis en avant l’importance de la représentation pileuse dans les structures qu’il étudiait. Depuis, d’autres études ont été menées comme la critique radicale qui est faite de la dictature normée de l’épilation par Philippe Liotard ou Frédéric Baillette. Citons aussi Jocelyn Patinel qui considère que nous essayons d’éliminer l’animal dans l’être humain et notamment dans la femme afin de la réduire à un être pré-pubère. Bien que je sois sociologue et non pas anthropologue, il me semble qu’il s’agit là d’une sorte d’impératif anthropologique qui consiste à se distinguer des autres animaux en éliminant les poils en tant que symbole de la "primitivité". Pour reprendre les mots de Douglas, je dirais que nous essayons fondamentalement de purifier l’impureté naturelle. Il est intéressant de voir cela apparaître en surimpression dans une œuvre de la culture populaire comme le film RRRrrr !!! d’Alain Chabat. Ce film comique oppose deux tribus, celle des cheveux propres et celle des cheveux sales, à la fin Depardieu se lave les cheveux et entre ainsi parmi les éduqués. Cela témoigne de la perception que nous avons de notre rapport à notre pilosité et la manière dont nous la traitons change la perception sociale que nous avons des autres et qu’ils ont de nous.
D’autre part, il est important de préciser que l’appareil médical a parfaitement relayé pendant des décennies le fantasme hygiéniste qui est de dire que les poils sont sources d’infections supplémentaires. Ainsi, des communications de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont fait savoir que le rasage automatique avant les opérations chirurgicales n’avait aucun intérêt, voire pouvait entraîner des risques si cela était fait de manière trop rapide et peu appliquée.

Dans une société de plus en plus transgenre, aussi bien au niveau de la mode que des pratiques sociales et sexuelles, la pilosité est-elle devenue un marqueur de virilité ?

Stéphane Héas : Il ne me semble pas qu’il y ait une réelle confusion des sexes dans les pays occidentaux et donc pas vraiment de problématique transgenre. C’est une réflexion qui ne concerne en fait qu’un micro milieu urbain et éduqué. Les éléments qui opposent le masculin et le féminin représentent encore aujourd’hui deux mondes bien distinctsl’un de l’autre avec quelques exceptions. La majorité maintient encore son pouvoir sur les minorités transgenres qu’elles soient d’origine biologiques ou décisionnelles. Il y a des caractéristiques radicalement différentes entre un individu qui décide de vivre selon les codes normés d’un sexe qui n’est pas le sien et un autre qui prend la décision de subir des opérations chirurgicales définitives.
Sur le plan biologique, la situation est cependant bien plus complexe qu’une différence fondamentale entre le masculin et le féminin. Au niveau chromosomique, il existe au moins cinq ou six situations différentes qui mêmes si elles sont quasi inexistantes sur le plan statistique existent malgré tout. Il faut donc arrêter de faire disparaître cette diversité en lui imposant des normes sociales intransigeantes. Dans d’autres pays, le transgenre peut donner accès à une certaine reconnaissance sociale comme le statut des Lady boys en Asie du sud-est ou comme ce fut le cas en Europe avec les castrats. Le film Farinellimontre très bien comment, au prix de lourdes souffrances, les castrats pouvaient accéder à des privilèges sociaux uniques. En France cependant, nous sommes encore très loin de cela. Récemment encore, dans l’une des émissions télévisées qui se vouent à la découverte de nouveaux chanteurs, un homme habillé en femme a été sournoisement stigmatisé par le jury. J’ai même failli écrire à la production tant il m’a semblé qu’il s’agissait d’homophobie caractérisée. Je ne crois donc pas que nous soyons sujets à une confusion des genres, bien au contraire, et la chasse à la pilosité n’est donc pas remise en cause.

Peut-on imaginer à terme que cette réapparition des poils, même minime, puisse s’étendre aux femmes ?

Stéphane Héas : En réalité, c’est déjà un peu le cas, bien que cela soit tout à fait minoritaire. Lorsque Laetitia Casta ou certaines stars hollywoodiennes apparaissent publiquement avec une légère pilosité apparente sous les aisselles, elles luttent contre la dictature du glabre mais ne parviennent pas à faire basculer le phénomène pour autant. Je suis sociologue et je ne défends aucune thèse sur l’intérêt, ou non, d’avoir des poils. Néanmoins, il me semble que la pluralité des usages devrait avoir cours sans qu’une partie soit stigmatisée. Il faut rappeler que l’apparition de poils est une valorisation de l’arrivée à l’âge adulte et j’ai donc peur que cette injonction au rasage provoquent des amalgames religieux ou entre l’âge adulte et la pré-puberté. Enfin, en tant qu’homme, je suis sensible aux injustices et aux violences dont sont victimes les femmes et je ne crois pas que cette dictature de la femme sans poils, désanimalisée, n’aille dans le sens de l’amélioration des relations hommes-femmes et de la façon dont elles sont traitées. 

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