La polémique autour de l'évasion fiscale de Gérard Depardieu n'en finit plus de rebondir et rappelle les rapports compliqués des Français avec leurs élites.
Comment sont perçues les élites en France ?
Faut-il craindre de voir les têtes de ceux qui ont réussi plantées sur
des piques comme nous avons pu le voir au cours de notre histoire ? Les
Français ont-ils une spécificité dans la façon de percevoir leurs
élites ?
Jean-François Kahn :
Les Français ont un rapport à la réussite qui est ambivalent, voire
ambigu. Si l’on regarde l’affaire Depardieu, ce n’est ni le fait qu’il
ait réussi, ni le fait qu’il ait de l’argent qui lui est reproché. Ce ne
sont d’ailleurs pas les Français qui lui font des reproches. A l’origine, c’est simplement le Premier ministre qui dénonce son attitude – et non pas le personnage.
Le tout a pris une tournure bien tragique dès lors que Gérard Depardieu
a demandé à se faire retirer la nationalité, manifestant ainsi une
volonté de renier l’Etat et la Nation.
Pourtant,
la personnalité de Gérard Depardieu est très appréciée. Et là, nous
avons quelque chose de typiquement Français : un mec beau parleur,
rebelle, qui se permet de pousser des coups de gueule pour toutes sortes
de raisons, qui se rend à Cuba et fait l’apologie du communisme ou
participe à des soirées avec Poutine à Moscou ou encore à Grozny en
Tchétchénie. Et je ne parle pas de ses écarts quand, lassé d’attendre
dans un avion, il préfère uriner contre la porte ou, quand, après un
accident de scooter, ivre mort, il préfère tabasser l’automobiliste.
Malgré tout cela, les Français aiment Gérard Depardieu parce qu’il reste
un éternel rebelle. Imaginez une telle personnalité dans un pays comme
les Etats-Unis.
Même chose pour un Bernard Tapie :
un homme d’affaires qui a fait de la prison et a été impliqué dans une
multitude de scandales et qui se retrouve à racheter La Provence. En
Amérique, si un entrepreneur aussi controversé cherchait à racheter le
New York Times, l’opinion serait littéralement outrée. En France, on
valide.
Par contre, d'autres types de
personnalités, trop propres sur elles, sont littéralement honnies des
Français. Un personnage comme Alain Minc, qui fait le tour des médias,
des télévisions et des radios, sans une mèche qui dépasse, pour proposer
tout un tas de théories économiques ou politiques – même s’il se trompe
tout le temps – est rejeté par tout le monde parce qu’il n’a pas cette
image de rebelle !
Eric Anceau :
Il y a une spécificité. Nous avons un rapport très particulier aux
élites depuis la Révolution française, en raison de notre passion pour
l’égalité. Toutes les têtes qui dépassent un petit peu trop, les
Français ont tendance à vouloir les égaliser. Les Français ont malgré
tout conscience de la nécessité d’être gouvernés, du besoin des élites –
j’utilise à dessein le pluriel. Mais en période de crise, ou lorsque
les élites se comportent mal, car cela arrive, on assiste à une remise
en cause de celles-ci.
Faut-il voir dans cette
manière de percevoir les élites un héritage de notre histoire ?
Cherche-t-on quelque part à reproduire les exemples du village Gaulois
ou de la Révolution ? Le fait de s'en prendre aux élites est-il vraiment
une spécificité française ?
Jean-François Kahn :
Exactement ! D’ailleurs, Gérard Depardieu colle parfaitement à cette
imagerie de l’imaginaire français. Depardieu, c’est celui qui a joué
Cyrano et qui a joué Obélix. Forcément, cela ressort sur la manière dont
on le perçoit et joue dans le fait qu’on ait tout de même une image
positive de lui malgré toutes ses frasques.
Les
Français sont fiers de cet héritage révolutionnaire et cherchent à
l’entretenir. Nous sommes dans un pays où les rebelles ont
systématiquement été magnifiés. Prenez l’exemple de Jean Chouan : sa
révolte était déjà opposée au fisc ! Il s’opposait pendant la Révolution
à l’impôt sur le sel. Déjà, c’est ce rejet qui est à l’origine d’une
légende de rebelle.
Eric Anceau :
Le phénomène a toujours existé, du moins à l’époque contemporaine.
1789, 1815, 1830, 1848, 1870, 1940 : à chaque crise majeure avec
changement de régime, il y a eu une remise en cause des élites, qu’elles
aient été responsables ou non. Les Français leur ont systématiquement
imputé les difficultés qu’ils rencontraient à ce moment-là.
L’aristocratie
d’Ancien Régime, entre 1787 et 1789, pour maintenir ou accroître ses
privilèges, avait eu tendance à se crisper, à s’en prendre à la
monarchie, et a ouvert une véritable boîte de Pandore de remise en cause
du régime de la monarchie absolue, et par ce réformisme incomplet, a
été jetée à bas, car elle était imbue de ses privilèges et critiquée
comme telle. Cela dépend donc des périodes, mais à chaque problème, les
Français se tournent vers leurs élites pour émettre des critiques.
Nous
avons connu de très nombreux changements de régime sur la période
contemporaine : de 1789 à nos jours, nous avons connu exactement 18
changements de régime. L’instabilité des régimes en France démontre
notre rapport particulier aux élites. A un moment donné, les Français ne
supportaient plus leurs élites et les ont jetées à bas. Bien qu’elles
ne soient pas entièrement responsables des problèmes, les élites
l’étaient en partie. Cela renvoie au problème de la réforme : les élites
n’arrivent pas à réformer, et cet échec débouche sur des révolutions.
Les élites portent ainsi une part de responsabilité dans les crises, et
elles en subissent les conséquences.
Mais les
élites sont malgré tout perpétuées au pouvoir depuis 1789, comme de
nouveaux ouvrages le montrent. On retrouve sans cesse des avatars des
mêmes élites, comme celle de la bourgeoisie au 19ème siècle. Beau de Loménie, un monarchiste, critiquait déjà la montée en puissance de la bourgeoisie au 19ème
dans "La Responsabilité des dynasties bourgeoises", il n’en demeure pas
moins que ce sont les mêmes familles que l’on retrouve au pouvoir.
L'année 1789 est-elle un tournant dans le rapport des Français à leurs élites ?
Eric Anceau: Tout a changé en 1789. Il existait déjà avant une critique des élites, mais c’est au 19ème
qu’est apparue la montée en puissance de l’esprit public, et qu’est
apparue la fameuse "opinion publique", dans le cadre d’une
démocratisation. Donc la "France d’en bas", le peuple, va être amenée à
se positionner par rapport à ses élites, ce qu’elle ne faisait pas avant
1789. Auparavant, on assistait à un simple dialogue entre la monarchie
et les élites aristocratiques. C’est après cette date qu’est apparu un
élément supplémentaire : le peuple français, la nation française.
Depuis
cette date, la population française, prise d’une passion pour
l’égalité, ne supporte pas les têtes qui dépassent, aussi bien en termes
culturels, économiques, que financiers. On l’a vu récemment avec
l’affaire Depardieu.
De même qu’en politique, dès
qu’une idée un petit peu originale se fait jour, les Français, qui sont
pris d’une sorte de schizophrénie, tantôt l’acceptent et tantôt la
rejettent. C’est aussi ce que remarquent sans cesse les observateurs
étrangers, en Allemagne, en Orient ou dans le monde anglo-saxon, qui
constatent que les Français ont tendance à passer d’un extrême à
l’autre. Cette tendance explique aussi notre difficulté à nous réformer.
Nous
assistons actuellement à une forme d’oligarchisation du pouvoir, de
collusion. Certes, l’élite est plurielle, mais à certaines périodes,
elle a tendance à passer du pluriel au singulier. En cela, notre période
actuelle rappelle furieusement 1788-1789. On passe d’élites extrêmement
diversifiées à une sorte d’élite unique. C’est ce qu’avait identifié,
pour la démocratie américaine, le sociologue Charles Wright Mills dans
The Power Elite en 1955. En France, Raymond Aron affirmait au même
moment que la France ne courait pas ce risque : elle n’avait pas qu’une
élite, elle en avait plusieurs. Le phénomène que dénonçait Mills est en
train de réapparaitre en France selon moi : une collusion de l’élite.
Les
IIIème, IVème et début de la Vème Républiques sont des époques où les
élites étaient moins unifiées. Vous aviez une pensée très iconoclaste,
très excessive parfois. Des extrémismes de gauche et de droite
s’exprimaient avec une violence inouïe. Des paroles de ce type dans
notre société entraîneraient immédiatement un procès. Il y a donc une
forme de conformisme qui peut avoir de bons côté mais risque de
stériliser le débat public.
La manière de
construire son image publique, chez les personnalités que nous avons
évoqué (Gérard Depardieu, Bernard Tapie ou même Alain Minc), est-elle
volontaire et pro-active, en rapport à cette légende et à cet héritage
historique ?
Jean-François Kahn : Ça,
je ne sais pas. J’ai le sentiment que chez Bernard Tapie, c’est
effectivement nourri d’une certaine manière par un jeu d’acteur. Il sait
que c’est perçu de manière positive et il en joue. Pour Gérard
Depardieu, je ne crois pas qu’il le fasse exprès. Je crois qu’à un
moment, il est vraiment un peu fou et il fait tout cela sur le moment,
sans y réfléchir.
Quelqu’un comme Alain Minc,
c’est tout le contraire : il ne plaît pas ? Cela lui est égal. Ceux-là
préfèrent plaire au milieu dans lequel ils évoluent, sans vraiment
chercher à gagner une bonne image auprès des Français en général. Ils
sont d’ailleurs les premiers à dénoncer le populisme de ceux qui
cherchent à se présenter comme des représentants de l’imagerie
révolutionnaire et gauloise en exagérant certaines attitudes.
Les
Français ont-ils besoin de se représenter eux-mêmes dans cette espèce
d’éternelle chasse aux bourgeois, comme dans Germinal ? Pourraient-ils
par ailleurs faire preuve d'une violence similaire à celle de la
Révolution française ?
Jean-François Kahn :
Certainement ! Je pense que ce n’est pas un hasard si l’on retrouve
systématiquement ces représentations. C’est d’ailleurs pour cela que le
rejet de ceux qui réussissent se manifeste surtout par rapport aux
patrons. Un artiste ou sportif ne se verra pas reprocher de gagner
beaucoup d’argent. Pour les patrons, qui d’ailleurs ne sont pas toujours
ceux qui ont réussi mais parfois ceux qui se retrouvent placés à la
tête des entreprises sans les avoir amenées là, il n’est pas toujours
facile pour les gens de comprendre des salaires mirobolants. Une
incompréhension qui a été d’autant plus exacerbée que les patrons en
question continuent de toucher des primes démesurées, même lorsqu’ils se
font virer, parce qu’ils ont obtenu de mauvais résultats !
Eric Anceau :
On traverse une très importante crise économique qui est aussi une
crise sociale mais également une crise de civilisation. Je pense donc
que la situation est aussi explosive, voire plus, qu’en 1789. Il y a
néanmoins des différences, comme l’a montré Guy Debord. Il y a une
atmosphère lénifiante. On adore les passions. Donc bien que la situation
soit gravissime, et qu’il y ait des clivages comme il n’y en a pas eu
depuis très longtemps, je ne pense pas qu’on débouche sur une situation
révolutionnaire. L’époque est prérévolutionnaire, mais je ne sais si
elle deviendra révolutionnaire .
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Tout homme en son fort intérieur peut admettre beaucoup de choses
désobligeantes sur lui même ! Egoisme, cupidité....tant le modèle de la
vertu semble inaccessible ! Et surtout on ne l'admet que lorsque on ne
nous dit pas ce que nous sommes. La prise de parole, ou la
fréquentation des hommes transforme ce peu de qualité en un besoin
d'être. Ce qui entraîne affabulations, prétentions du savoir et du
jugement qui sont pourtant peu répendues ! Le monde politico-médiatique,
ses intellectuels, journalistes artistes prétendent.
Beaucoup...Fédérant l'ignorance et la sottise en opinions ! Nous
attrapons des opinions comme des maladies infectieuses. Quand nous nous
réveillons ce qui est inéluctable, nous cherchons des boucs émissaires !
Il aurait fallu dire très souvent aux conseilleurs
médiatico-politiques, qui paye ?
Qui paye pour les 35 h, pour la SS, pour la fiscalité locale...et
pourquoi et à quel titre? Pourquoi est-on égal quand on paie en impôts
ce que 5000 de ses égaux ne payent pas ! La disparition d'un riche
fabrique -t-elle 2 individus moins pauvres. Les 20 cigales peuvent-elles
demander des comptes à la fourmi? Sommes-nous des corbeaux ? Et quel
renard a bouffé le fromage ?
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« Lassé d’attendre dans un avion, il préfère uriner contre la porte » : faux ! Dans une bouteille (c’est plus propre !)
« un homme d’affaires qui a fait de la prison et a été impliqué dans une
multitude de scandales et qui se retrouve à racheter La Provence. » :
« Imaginez aux états unis »..
Ben, on pourrait rajouter : « des ministres qui ont signé une charte de
déontologie mais qui ont été déclarés coupables par la justice ! », « un
président qui ment tout le temps »
« les élites n’arrivent pas à réformer, et cet échec débouche sur des révolutions »
Ce monsieur oublie que nos zélites actuellement à la tête du pays, sont
des zélites au QI d’huître cuite, qui se fichent du « petit peuple » !
Et qui n’ont donc d’élites que le nom. Normal qu’on veuille les
raccourcir, non ?
Je sens bien, dans les réflexions de M Khan, son sentiment d’appartenir à ces zélites et son amour de Sa Normalité 1er
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