La presse française est sous perfusion de l’État, mais certains ne veulent pas voir que c'est là que se trouve la cause de sa déchéance.
Jean Stern, journaliste français auteur d'un livre intitulé Les patrons de la presse nationale tous mauvais était interviewé hier matin sur la RTS (Radio publique suisse).
Stern, qui a étudié son sujet, reconnait que le système de cogestion
entre État-Patrons-Syndicats qui régit la presse en France depuis la
libération est à bout de souffle. Mais savez-vous quel est son
diagnostic ? Ce qui ne va pas c'est qu'on ferme trop de kiosques, et que
les patrons préfèrent investir dans leurs autres activités plutôt que
dans le développement des médias dont ils sont actionnaires. Ainsi la
crise de la presse française, selon Jean Stern, "c'est l'échec du
capitalisme". On croit rêver.
On aurait aimé que les journalistes de l'émission Médialogues
(Thierry Fischer et Mathieu Chevrier) soient moins complaisants, et
signalent au journaliste français que la presse romande se porte bien
mieux que la française. Il y a pas loin d'une dizaine de quotidiens en
Suisse Romande pour seulement un million et demi d'habitants !
Des deux côtés de la frontière, la presse subit la concurrence
d'internet. Alors, pourquoi la presse est-elle dans ce triste état en
France, et va-t-elle mieux en Suisse ?
Une Presse étatisée
La première différence qui saute aux yeux, c'est que la presse
française est sous perfusion de l’État. Et si c'était là la cause de sa
déchéance ?
Pour s'attirer les bonnes grâces des journaux, les gouvernements français successifs accumulent depuis 1945 les aides directes ou indirectes.
Les subventions et autres fonds de soutien représentent au total plus
de 10% du chiffre d'affaires des médias, soit plus d'un milliard d'euros
par an. Sans compter la très controversée niche fiscale
des journalistes, qui peuvent déduire 7.650 euros de leur revenu
imposable. Un tel niveau d'ingérence étatique dans la presse est unique
dans le monde occidental.
Droguée à l'argent public, cette presse n'est plus une industrie
normale, capitaliste. Moins elle vend, plus elle touche de subventions.
Dans une telle situation, ses dirigeants ont davantage intérêt à
consacrer leur énergie à copiner avec les politiques qu'à imaginer les
médias de demain. Les Français, sans connaître nécessairement les
chiffres, savent confusément que le Pouvoir achète la presse. Ils voient
également les relations incestueuses qui existent entre certain(e)s
journalistes et des hommes politiques, et au final se méfient des
journalistes.
De plus, comme l'interviewé de la RTS le soulignait, la presse
française n'est pas tellement intéressée par les faits, et peu capable
de faire des enquêtes sérieuses. C'est surtout une presse d'opinion. Le
problème, c'est que son opinion est uniforme : au-delà des étiquettes de
gauche et de droite, elle est à peu près unanime pour défendre le
système, et particulièrement l’État-Providence qui la nourrit.
Uniformité idéologique
Une presse perçue comme faisant partie du système, dépendante et non
indépendante, qui se limite trop souvent à commenter les dépêches AFP
dans une morne uniformité idéologique : comment voulez-vous que les
lecteurs ne s'en détournent pas ?
Il y a heureusement quelques exceptions, des journalistes libres, de
nouveaux médias fiers de refuser les subventions, parmi lesquels Mediapart ou Contrepoints.
Internet libère la parole et les initiatives. L'influence des
blogueurs, ces journalistes sans carte de presse, ne fait que croître.
Pour que la presse française redresse la barre, il faudrait qu'elle
réapprenne à faire son boulot. Se libérer de la tutelle de l’État.
Rechercher et diffuser de véritables infos, même et surtout quand elles
dérangent. S'affranchir de la pensée unique, et des nombreux tabous qui
vont avec, ces sujets dont on ne doit pas parler ou alors à mots
couverts. Respecter davantage la pluralité des opinions. Innover. Il
faudrait aussi s'inspirer de ce qui marche hors des frontières de
l'hexagone...
La presse de Suisse romande, avec ses petits moyens, est diverse et plutôt innovante. La qualité du Temps tient la comparaison avec celle du Monde, et cet excellent journal genevois a l'avantage d'être moins orienté politiquement. Je lis aussi volontiers la Tribune de Genève, et l'Agefi, un excellent journal économique, libéral (un gros mot en France dans le milieu journalistique). Un journal populaire comme Le Matin
est capable de produire le week-end un contenu d'une richesse
absolument remarquable, dans le format du quotidien et non dans un
format magazine. C'est un régal le week-end.
À bien y réfléchir, il n'y a pas de raison de penser
que les patrons de presse et les journalistes français sont plus
mauvais que les autres.
mardi 11 décembre 2012
Les patrons de presse français sont-ils tous mauvais ?
La presse française a juste besoin de sortir de
l'assistanat et d'apprendre à vivre libre.
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