TOUT EST DIT

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mercredi 4 janvier 2012

En attendant Jeanne d’Arc !


En cette semaine et ce début d’année du sixième centenaire de la naissance de sainte Jeanne d’Arc (au jour de l’Epiphanie qui est la première fête du Christ-Roi), nos vœux pour la France ne voudraient pas demeurer dans la catégorie des « vœux pieux » mais se fonder sur une véritable espérance politique.

Dans son fameux discours de 1992 à l’Académie française des sciences morales et politiques, intitulé « En attendant Godot », Vaclav Havel nous aura justement laissé une magistrale leçon politique relative au passé communiste mais également au présent et au futur soi-disant démocratiques des nations modernes.

Sur son expérience du communisme avec son régime « (post-)totalitaire » du mensonge institutionnalisé, il nous livre d’abord sa conviction, à l’instar de Soljenitsyne, qu’il n’y avait pas d’autre alternative que la dissidence d’abord individuelle : « Une attente animée par la croyance que résister en disant la vérité est une question de principe, tout simplement parce qu’on doit le faire, sans calculer si demain ou jamais cet engagement donnera ses fruits ou sera vain. Une attente forte de cette conviction qu’il ne faut pas se soucier de savoir si, un jour, la vérité rebelle sera valorisée, si elle triomphera, ou si, au contraire, comme tant de fois déjà, elle sera étouffée. Redire la vérité a un sens en soi, ne serait-ce que celui d’une brèche dans le règne du mensonge généralisé. Et aussi, mais en deuxième lieu seulement, une attente inspirée par la conviction que la graine semée prendra ainsi racine et germera un jour… »

Puis, sans aller aussi loin que Soljenitsyne dans la critique du modèle démocratique occidental et de ses structures, Vaclav Havel nous suggère aussi et déjà que cet autre monde d’illusionnistes libéraux est aussi totalitaire à sa manière, plus sournoisement totalitaire que le marxisme (comme diront Jean-Paul II et Benoît XVI), et qu’il mérite peut-être également « cette attitude que, pour simplifier, nous appellerons dissidence », laquelle suppose et cultive une vraie patience réaliste.

Ecoutons ce dramaturge devenu exemplairement chef d’Etat faire paradoxalement son autocritique qu’il faudrait plutôt appeler en l’occurrence un examen de conscience pour la modernité occidentale en son entier :

« Je succombais à cette forme d’impatience, ô combien destructrice, de la civilisation technocratique moderne, imbue de sa rationalité, persuadée à tort que le monde n’est qu’une grille de mots croisés, où il n’y aurait qu’une seule solution correcte — soi-disant objective — au problème ; une solution dont je suis seul à décider de l’échéance. Sans m’en rendre compte, je succombais, de facto, à la certitude perverse d’être le maître absolu de la réalité, maître qui aurait pour seule vocation de parfaire cette réalité selon une formule toute faite. Et comme il revenait à moi seul d’en choisir le moment, il n’y avait aucune raison de ne pas le faire tout de suite…

« Je constatai ainsi avec effroi que mon impatience à l’égard du rétablissement de la démocratie avait quelque chose de communiste. Ou plus généralement, quelque chose de rationaliste, l’unité des Lumières. J’avais voulu faire avancer l’histoire de la même manière qu’un enfant tire sur une plante pour la faire pousser plus vite. »

Autrement dit, dans notre monde sécularisé issu des (fausses) Lumières, la fin du communisme ne fait pas disparaître l’attente illusoire et subversive de Godot. Si l’exemple type du Godot imaginaire, celui qui finit tout de même par arriver comme un faux monstrueux, fut éminemment le communisme (« le Godot qui prétendait nous sauver mais qui n’a fait que détruire et décimer »), un nouveau Godot rôde encore subrepticement, c’est le Godot de l’idéalisme qui dérive toujours en idéologie, auquel s’oppose le réalisme (foncièrement aristotélicien) de Vaclav Havel. Car « Godot — celui qui est attendu — ne vient jamais, simplement parce qu’il n’existe pas. Il n’est qu’un substitut d’espérance. Produit de notre impuissance, il n’est pas un espoir mais une illusion. Un bout de chiffon servant à rapiécer une âme déchirée, mais un chiffon lui-même percé de trous. »

Une attitude de dissidence qui signifie autre chose qu’« attendre Godot » !

Cela dit pour les catholiques français qui, en cette année électorale, « attendent Godot » dans un régime laïciste où ils sont manifestement « encerclés, enserrés, colonisés de l’intérieur » mais où ils continuent à se mentir à eux-mêmes et à mentir à leurs proches en croyant et faisant croire que Jeanne d’Arc peut arriver sans dissidence de leur part, sans rompre avec l’accoutumance de ce relativisme subliminal (selon l’expression de Benoît XVI), qui les rend à la fois serfs et complices, victimes et supports de ce totalitarisme sournois, pantins de ce nouveau et subtil Panthéon totalitaire.

A ceux-là, Vaclav Havel affirme : « Attendre la germination de la graine qui, par principe, est bonne, c’est autre chose qu’“attendre Godot”. Attendre Godot signifie attendre la floraison d’un lys que nous n’avons jamais planté. » Planter nous-mêmes la graine du lys suppose aujourd’hui, en cette dictature du relativisme, une dissidence analogue à celle que prônait Havel contre le mensonge du communisme. Car, dans une ténébreuse alliance, « la rencontre historique de la dictature et de la société de consommation », comme il disait, se pratique aujourd’hui aussi bien dans le « post-totalitarisme » du communisme (avec l’exemple éloquent de la Chine) que dans ce relativisme occidental et libéral avec sa décréation intrinsèque. Cette attitude de dissidence, enseignait donc Havel, nous a appris à être patients : « Elle nous a appris à attendre ; l’attente en tant que patience. » On n’attend pas Jeanne d’Arc comme on attend Godot.

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