Moscou, Correspondance - L'hiver moscovite n'aura pas eu raison des manifestants. Une heure avant le début officiel de l'événement prévu à 14 heures samedi, ils étaient déjà plusieurs milliers de personnes agglutinées devant les détecteurs de métaux qui marquent le début de la zone de manifestation autorisée.
Au loin, tout au bout de l'avenue Sakharov, une artère imposante bordée de grands immeubles, une scène a été dressée pour accueillir les orateurs et les musiciens au programme. Devant elle, une mer de drapeaux aux couleurs disparates : le rouge des communistes, le blanc-jaune-noir des nationalistes, l'orange du mouvement Solidarnost, sans compter les affiches moquant le premier ministre Vladimir Poutine en lui donnant des airs de Brejnev ou en le montrant derrière des barreaux.Tatiana Kisina, la petite cinquantaine, émerge d'un portique de sécurité avec son mari. C'est sa première manifestation : "C'est allé trop loin cette fois-ci. Je ne connais personne, vous entendez bien, personne qui ait voté pour Russie Unie en décembre. Et ils ont obtenu 50 % des voix ? Il faut respecter les gens".
Autour d'elle, comme lors de la précédente manifestation qui avait rassemblé au moins 40 000 personnes, le 10 décembre dernier, de nombreuses affiches exigent "des élections justes". D'autres demandent "un nouveau scrutin" : lors de l'élection législative du 4 décembre, le parti au pouvoir Russie Unie a remporté 49,32 % des voix. Les irrégularités et les fraudes, souvent illustrées par des vidéos tournées dans les bureaux de vote et largement diffusées sur Internet, ont initié ce mouvement de mécontentement sans précédent en Russie depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 2000.
Autre invité marquant de la journée : Alexeï Koudrine, qui était encore cet automne ministre des Finances, avant de démissionner en raison de désaccords avec le président Dmitri Medvedev. Jugé jusqu'à tout récemment proche de Vladimir Poutine, l'ancien ministre a demandé des réformes électorales "avant le scrutin présidentiel du 4 mars", au risque sinon de "perdre la chance que
nous avons d'un changement pacifique".
Les interventions des habituels opposants dits "libéraux" étaient moins attendues. Garry Kasparov, particulièrement absent depuis le début du mouvement de protestation, a été accueilli avec une froide indifférence, tandis que quelques huées ont parsemé le discours de Boris Nemtsov, autre personnalité des milieux d'opposition.
Le comité organisateur de ce mouvement de protestation a de quoi se réjouir. Dans une ville réputée politiquement apathique, cette deuxième journée de manifestation est un succès. Mais les écueils risquent cependant d'être nombreux.
L'arrivée de la période des Fêtes, qui débute le premier janvier en Russie, risque également de tuer dans l'oeuf le mouvement initié à Moscou, bien que les organisateurs ont promis ces derniers jours de reprendre leurs actions à la fin du mois de janvier.
Enfin, le caractère hétéroclite du mouvement ne simplifie pas les choses. Entre les opposants "historiques" au régime poutinien – qui sont eux-mêmes aux prises avec des conflits internes –, les nouveaux militants mobilisés en majorité par les réseaux sociaux et les nouvelles têtes difficilement classables comme Alexeï Navalnyï, cette nébuleuse d'opposition risque d'avoir du mal à présenter un visage unifié face à un système politique qui compte bien mener la campagne présidentielle qui s'annonce sans dévier de son programme.
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