Ce que feraient bien volontiers les quelque 550 journalistes et collaborateurs des médias publics qui ont été licenciés en juillet. Bon nombre d’entre deux seraient prêts à ouvrir la bouche et donneraient volontiers leur nom pour demander des comptes. Ou tout au moins une explication. Si ce n’était cette clause dans leurs contrats de travail.
Quiconque évoque ses conditions de travail sans y avoir été autorisé au préalable par son employeur perd l’intégralité de ses indemnités. Quiconque a un enfant ou plus à charge réfléchira à deux fois avant de s’y risquer. Voilà pourquoi les journalistes se taisent, officiellement. Même s’ils ont beaucoup à dire.
"La grande enveloppe, ça voulait dire que c'était terminé"
Le 5 juillet dernier, un homme calme aux cheveux grisonnants – appelons-le A. – s’est vu prié de se présenter le lendemain matin à 10h sur son lieu de travail. Un courrier électronique a suivi, visant à s’assurer que l’information était bien parvenue à son destinataire.C’était la première étape d’une vague massive de licenciements dont A. n’était qu’une des nombreuses victimes. Le lendemain, relate-t-il, A. s’est donc présenté sur son lieu de travail. Quatre collègues attendaient déjà dans le couloir. L’un après l’autre, ils ont été appelés. Ceux qui sortaient du bureau avaient à la main soit une enveloppe, soit une feuille de papier. "La grande enveloppe, ça voulait dire que c’était terminé", explique A. "La feuille de papier, ça voulait dire qu’on avait de la chance". La feuille en question était un nouveau contrat de travail, signé directement sur place.
A. est entré le troisième dans le bureau. Aucun entretien n’a duré plus de cinq minutes. Il est entré et s’est assis face à trois personnes qui lui étaient inconnues. "Vous n’êtes pas sans savoir que des restructurations sont en cours et, malheureusement…" À partir de là, A. savait ce qui l’attendait. Il a pris l’enveloppe et s’en est allé. Des entretiens de ce type se sont poursuivis toute la journée. "Ce n’était pas humain", confie A.
Le fait que les victimes de licenciements aient une impression d’injustice n’est pas rare. Ce qui est plus rare, en revanche, c’est que leurs collègues qui ont eu le droit de rester la partagent également. Parmi ceux qui ont été poussés vers la sortie figuraient les meilleurs, confient ces derniers. À leurs yeux, il ne fait aucun doute que ces licenciements avaient pour objectif de se débarrasser de journalistes gênants.
Des licenciements étaient nécessaires
Parmi les rédacteurs remerciés figurent des lauréats du prix Pulitzer hongrois, des présentateurs connus au-delà des frontières du pays, des jeunes journalistes prometteurs distingués par des prix. Parmi les promus figurent des journalistes qui, du jour au lendemain, ont été nommés responsables de journaux télévisés alors qu’ils s’occupaient jusqu’alors de programmes de variétés.Ou des rédacteurs comme Dániel Papp, 32 ans, ancien porte-parole du Jobbik en charge des médias, qui a récemment trafiqué un sujet sur le Vert Daniel Cohn-Bendit, connu pour être un critique du régime de Victor Orbán. En cours d'interview, Cohn-Bendit s’est vu demander s’il considérait que le harcèlement sexuel des mineurs faisait partie des droits fondamentaux européens. L’intéressé a fourni une réponse exhaustive au journaliste. Pourtant, dans le sujet tel qu’elle a été diffusé, le responsable politique semble quitter le plateau sans mot dire. Dániel Papp n’a pas été licencié. Il a été nommé directeur de la rédaction.
A. ne conteste pas que certains licenciements étaient nécessaires. Avec ses 3 000 collaborateurs et plus, l’audiovisuel public hongrois est une machine coûteuse et hypertrophiée qui rencontre une audience limitée et se distingue par son inefficacité, sa corruption et ses problèmes de financement. L’ancienne loi sur les médias datait de 1996 ; depuis lors, aucun gouvernement n’a entrepris de restructuration digne de ce nom – ni n’a essayé de maintenir l’audiovisuel en dehors des politiques partisanes. Y compris les socialistes.
Une force d'opposition en pleine croissance
Viktor Orbán aborde ce dossier comme il aborde tous les autres : il repère un dysfonctionnement réel – et s’en sert pour propager son idéologie. En avril de l’année dernière, le Fidesz, son parti, a remporté une majorité des deux-tiers au Parlement. Depuis lors, Viktor Orbán se fait un devoir de mettre en œuvre son idéologie d'"unité nationale" en Hongrie. Il a fait adopter une nouvelle constitution, a affaibli le conseil constitutionnel, a placé ses partisans dans les plus hautes instances de l’État. Même s’il n'était pas réélu, il pourrait ainsi continuer à exercer son pouvoir.Adoptée cet hiver, la nouvelle loi sur les médias, qui dissout les anciennes structures de l’audiovisuel, vient d’entrer en vigueur en juillet. Tous les journalistes de l'audiovisuel public sont désormais aux ordres de MTVA. Les productions, les programmes, tout est contrôlé par MTVA, qui produit même les journaux télévisés de toutes les chaînes au sein de sa propre agence.
Et les acteurs privés du secteur ? Deux chaînes jugées critiques à l’égard du gouvernement ne savent toujours pas si leurs licences seront prolongées, ni à quelles conditions. Voilà déjà longtemps que l’État ne leur propose plus de contrats publicitaires. Une réunion, un jour d’été pluvieux, à Budapest : plusieurs dizaines de journalistes sont là, presque tous remerciés. Ils regardent d’un œil soupçonneux les journalistes encore en poste venus y assister – en signe de solidarité ? À moins qu’il ne s’agisse de taupes qui feront plus tard un rapport de l’événement ?
Un jeune reporter se dit fier d’avoir été licencié car cela lui confirme qu’il a bien fait son travail. Il désigne les nombreux journalistes licenciés présents et confie en riant: "Ils font partie des meilleurs. Viktor Orbán vient de créer contre lui une force d’opposition la plus dangereuse qui soit".
Et une force en pleine croissance. Les prochains licenciements sont attendus en septembre. Ils concerneront cette fois quelque 400 collaborateurs.
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