(*) Professeur de Sciences politiques.
vendredi 22 avril 2011
L'Europe, victime des égoïsmes nationaux
La pression populiste, qui se nourrit du rejet des élites et de la peur de la globalisation et de l'immigration, perturbe le fonctionnement actuel de l'Union européenne. C'est peut-être le moment de retrouver l'esprit ses pères fondateurs, les Monnet et Schuman.
Ils avaient imaginé, il y a soixante ans, un ingénieux système associant la mise en commun de certaines compétences (principalement économiques) avec une organisation où les États étaient contrebalancés par des institutions au-dessus d'eux. Le Conseil des ministres représentait les intérêts nationaux, tandis que la Commission ou le Parlement étaient censés représenter l'intérêt général européen. C'est ce que, en son temps, Jacques Delors avait défini en caractérisant l'Europe comme une « Fédération d'États-Nations ».
Ce choix a été progressivement remis en cause. Bruxelles a été de moins en moins le lieu de mise en commun de compétences et de plus en plus le lieu d'âpres négociations entre États pour tenter d'obtenir le maximum d'avantages ou le minimum d'inconvénients. Les stratégies du « chacun pour soi » prirent le dessus.
L'Europe a progressé dans la régulation des économies, mais elle a failli sombrer avec la crise monétaire née aux États-Unis. Certes, les Européens ont mis en place des mécanismes qui ont permis le sauvetage, in extremis, de la Grèce, de l'Irlande et maintenant du Portugal. Mais les refus, au départ, de faire preuve de solidarité, notamment en Allemagne, ont retardé les décisions nécessaires et augmenté la facture finale.
L'Europe a aussi réussi, au forceps, à se doter d'un service d'action extérieure, un nom barbare pour parler de politique étrangère mais qui ne réussit pas à camoufler l'incapacité des Européens à se doter d'une politique étrangère commune (et ne parlons pas de Défense !) Les Européens, face à l'implosion des régimes arabes, n'ont pas su réagir à la hauteur de l'événement et mener ensemble des politiques concertées.
Plus récemment encore, la question de l'immigration est devenue un motif de querelle entre Français et Italiens. La France a juridiquement raison de dire que la question de l'immigration clandestine relève du pays de débarquement des immigrés clandestins. Mais cet égoïsme juridique ne tient pas la route quand des petits pays, comme Malte et la Grèce, ou plus grands comme l'Italie, sont confrontés à des vagues incontrôlables d'immigrés. Au « c'est votre affaire » adressé par la France à l'Italie, répond le « débrouillez-vous avec le problème » des Italiens qui savent bien qu'en délivrant des laissez-passer « provisoires » aux Tunisiens, ceux-ci s'empresseront de tenter de passer la frontière française.
Le « chacun pour soi » des États européens est une chanson connue. Elle fut la matrice de tous leurs conflits, jusqu'à l'épuisement de la Seconde Guerre mondiale. Avons-nous oublié les leçons de l'Histoire ? Désunis, les États européens ne sont que des nains, non seulement face aux États-Unis, mais aussi face aux pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil.
Dans un monde à la fois ouvert et plein de risques, la dimension européenne est la seule capable de nous sauver. Mais pas n'importe quelle Europe ! Il est urgent de retrouver l'esprit du début de la construction européenne : une foi, une audace, un leadership, qui semblent manquer aujourd'hui.
(*) Professeur de Sciences politiques.
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