TOUT EST DIT

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mardi 1 février 2011

Pourquoi Barroso agace tant le couple franco-allemand

En langage diplomatique, on appellerait cela des malentendus. Dans la bouche des intéressés, il s'agit plutôt « de graves erreurs d'appréciation » de la part de la Commission européenne et de « problèmes d'ego mal placé » de son président, José Manuel Barroso. Ces derniers mois ont été, en tout cas, jalonnés de ces conflits à peine étouffés entre Paris et Berlin, d'un côté, la Commission, de l'autre. Le dîner organisé en toute discrétion mardi dernier entre la chancelière Angela Merkel et José Manuel Barroso, au château de Meseberg, près de Berlin, n'a pas suffi à dissiper le malaise. Plus le président de l'exécutif européen essaie de vendre à la chancelière les avantages d'une hausse massive et rapide des moyens du Fonds de secours européen, plus cette dernière se bute. Comme lorsqu'il a proposé un impôt européen pour financer le budget de l'Union. Comme lorsqu'il a repoussé son idée d'exclure de la zone euro un Etat indiscipliné.
Les mauvaises relations entre Bruxelles et le couple franco-allemand ne datent pas d'hier. Depuis l'éclatement de la crise financière en Europe, fin 2008, le président de la Commission européenne est sur la sellette. Accusé par les grands Etats membres de n'avoir pas su détecter - et a fortiori enrayer -les déséquilibres économiques et financiers de la zone euro dans les années 2000, il l'a été aussi de manquer de réactivité quand l'orage s'est déclaré. Et lorsque, tirant les leçons de la crise de la dette, la Commission fait à nouveau preuve d'initiative, Paris et Berlin lui reprochent sans ménagement de jouer les mouches du coche, de compliquer la tâche des gouvernements dans la recherche de nouvelles règles du jeu et même de travailler contre l'intérêt européen en affolant les marchés.
Première illustration de cette cacophonie, l'élaboration de la réforme du Pacte de stabilité. Tandis que le Conseil européen avait chargé fin mars dernier Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, nouvelle figure politique du traité de Lisbonne, de constituer une « task force » pour réfléchir à une véritable « gouvernance économique de l'Union européenne », la Commission a jugé utile de présenter ses propres propositions fin septembre, quelques jours avant les conclusions de la « task force ». Alors même qu'elle avait été intégrée, à sa demande, dans ce groupe de travail et qu'elle avait tout loisir d'y instiller ses idées, fait-on valoir à Paris. A tort ou à raison, le plan d'action de la Commission a été jugé beaucoup plus ambitieux que celui des gouvernements représentés par Van Rompuy : elle proposait d'instaurer des sanctions automatiques, retirant de facto du pouvoir aux gouvernements dans la mise en place de sanctions contre les Etats les plus laxistes. Cette précipitation du calendrier a déstabilisé le couple franco-allemand, qui, à Deauville, le 28 octobre, a dû rectifier le tir, déclenchant un tollé dans la presse allemande contre le renoncement de la chancelière à une plus grande fermeté vis-à-vis du reste de la zone euro. « Le résultat est que nos deux pays sont apparus en retrait des propositions de la Commission alors qu'on était d'accord sur l'essentiel du durcissement du pacte », regrette-t-on à Paris.
Le deuxième exemple remonte à fin novembre, quand Paris cherchait à convaincre Berlin de mettre en place un mécanisme permanent de soutien à la zone euro. Le compromis entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel fut ébauché tard dans la nuit du 27 novembre. Mais quand José Manuel Barroso a fait savoir dans les médias qu'il était l'artisan de l'accord franco-allemand, les conseillers qui entourent le président Sarkozy ont piqué une grosse colère avant de s'employer activement à rétablir leur version des faits. « En vérité, affirment-ils, l'apport de la Commission a été nul. »
Enfin, troisième accrochage : l'insistance de Barroso depuis quelques semaines à réclamer une hausse des moyens financiers du Fonds européen de stabilité. Officiellement, il s'agit de profiter de l'accalmie sur les marchés financiers pour renforcer ce fonds de secours et convaincre les investisseurs de sa capacité à protéger les pays en difficulté. Mais, ce faisant, la démarche du président de l'exécutif gêne considérablement Angela Merkel, qui avance à tâtons sur ce sujet hypersensible pour son opinion publique. « Nous n'avons toujours pas compris pourquoi Barroso a voulu bouleverser l'ordre du jour du Conseil européen du 4 février », qui doit être consacré à l'innovation et à l'énergie, alors que la question du fonds est prévue seulement au sommet du 21 mars, s'étonne-t-on dans l'entourage de Van Rompuy. En coulisses, on se demande même si Barroso, qui n'a pas renoncé à la présidence du Portugal, ne « développerait pas un sentiment d'urgence » pour son pays. « En tout cas, il joue contre les intérêts de l'Union, dit-on à Paris, car les investisseurs sont sensibles à la moindre divergence de vues européenne sur la défense de la zone euro. »
Ces nombreux désaccords sont-ils la simple expression du moi hypertrophié de José Manuel Barroso ? Certains le suggèrent. D'ailleurs, chacun a pu constater qu'à Bruxelles les relations entre Van Rompuy et Barroso sont loin d'être au beau fixe. Mais ce choc des personnalités dissimule un problème plus profond, lié à l'organisation institutionnelle de l'Union européenne, où l'installation d'un président stable du Conseil européen a conduit, qu'on le veuille ou non, à empiéter sur l'espace vital de la Commission, en l'occurrence sa capacité à exercer son droit d'initiative législative. Face à l'émergence d'une nouvelle force de proposition, figurée par Herman Van Rompuy, émanation des Etats, la Commission est tentée de regagner son indépendance vis-à-vis des dirigeants européens. Les responsables français et allemand ne jurent plus, de leur côté, que par « HVR », dont la compétence alliée à la discrétion les ravit... Mais, au fond, José Manuel Barroso n'en a cure... « Lui, c'est lui, moi, c'est moi... »

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