TOUT EST DIT

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mardi 15 février 2011

Nokia et la prophétie de Redmond


Enfin, Nokia a scellé une alliance digne de son rang. En annonçant vendredi dernier un partenariat stratégique avec Microsoft, la firme finlandaise a montré qu'elle n'était pas un géant malade, isolé et condamné au déclin. Jusqu'à présent, tout le monde voyait dans le fabricant de téléphones cellulaires nordique un patriarche en fin de règne, harcelé par des voisins avides de conquête, Apple, Samsung et Google avec ses mobiles Android. Mais le dernier survivant de l'aristocratie européenne du mobile a trouvé une autre puissance à qui s'adosser afin de réaffirmer son empire. Car Nokia sait encore imposer le respect. L'équipementier vend 453 millions de téléphones chaque année, dont 100 millions de « smartphones ». Leader mondial du mobile, la marque est connue sur toute la planète, et ses téléphones équipent aussi bien le pêcheur sénégalais que l'ouvrier chinois ou le trader de Wall Street.


Néanmoins le trader se raréfie. C'est là tout le malheur de Nokia : les riches préfèrent acheter un iPhone ou un BlackBerry, nettement plus conformes à l'idée qu'on se fait d'un téléphone haut de gamme. Et toute la gamme des N-Series ou E-Series se trouve d'un coup ringardisée. Par conséquent, Nokia ne profite pas autant que ses concurrents de l'explosion du marché du mobile depuis deux ou trois ans. Le groupe n'est pas assez présent sur les segments où les profits sont les plus plantureux. Sa part de marché totale, bas de gamme compris, s'effrite. Elle dépassait 40 % dans le monde, elle n'est plus que de 31 %. Dans l'univers impitoyable du mobile - Motorola ou Palm l'ont appris à leurs dépens -, les revers de fortune sont rapides et brutaux.


L'alliance qui vient de se nouer est donc également celle d'un groupe aux abois. Stephen Elop ne l'a pas caché. Le nouveau patron de Nokia n'a-t-il pas appelé ses troupes à prendre des risques hors du commun ? Des risques, son prédécesseur, Olli Pekka Kallasvuo, en a pris, lui aussi, mais il a échoué. Il y a tout juste un an, il avait également profité du Mobile World Congress de Barcelone pour dévoiler une alliance royale : le système d'exploitation de Nokia, Symbian, étant considéré comme insuffisamment compétitif dans l'univers du « smartphone », « OPK » avait annoncé en grande pompe le lancement d'une plate-forme logicielle alternative. Meego, coconçu avec le géant des microprocesseurs Intel, devait équiper les mobiles haut de gamme de Nokia. Cette solution ménageait la sensibilité des employés de la maison, fiers de leur savoir-faire et habitués par le passé à définir eux-mêmes les standards du marché.


Un an plus tard, aucun « smartphone » Meego n'a été livré. Il y aura un terminal d'ici à la fin de l'année, a tout juste reconnu Stephen Elop. A ce rythme, et face à des concurrents qui innovent en permanence grâce à des plates-formes déjà opérationnelles, Nokia ne s'en sortira pas, a-t-il analysé. D'où cette nouvelle alliance avec Microsoft, qui lui offre un système d'exploitation sur un plateau. Pour bénéficier de ce système prêt-à-l'emploi, Nokia a dû se lier avec un royaume plus puissant qu'Intel, mieux doté, et donc forcément plus exigeant.


L'éditeur de logiciels de Redmond est le grand gagnant de l'affaire. Il va en effet bénéficier du formidable marché mondial du finlandais pour donner une assise à son nouveau système d'exploitation. Ce dernier a été revu de fond en comble, il est maintenant parfaitement compétitif pour construire un écosystème de « smartphone » ; cependant le démarrage est poussif. Les constructeurs agréés, HTC, Samsung, LG, n'ont vendu que 2 millions de « Windows phones » en un trimestre. Microsoft va donc pouvoir accélérer.


Nokia ne devient pas pour autant un vaincu de l'histoire. Le groupe finlandais peut trouver en Microsoft une vraie planche de salut et, à sa façon, favoriser un nouvel accomplissement de la « prophétie de Redmond ». Avant de révolutionner le marché des PC dans les années 1980, Bill Gates et ses comparses de Microsoft n'hésitaient pas à prédire la fin du modèle vertical incarné par IBM. Un « Big Blue » qui pourrait se comparer à l'Apple d'aujourd'hui : un empire cultivant l'excellence dans une enceinte close. Chez IBM, on produisait les machines, les logiciels, tout en assurant le conseil et le maintenance informatique. Jusqu'à ce que Microsoft ouvre une brèche dans l'édifice en intercalant sa brique logicielle... sans en céder la propriété intellectuelle. Dès lors, il devenait possible de vendre Windows à d'autres fabricants d'ordinateurs. Les machines fabriquées par différents constructeurs ont pu se parler par logiciels interposés - on appelle cela l'interopérabilité. Les entrepreneurs n'ont pas tardé à comprendre que de nouveaux modèles économiques horizontaux étaient possibles. Les uns font les machines, les autres les logiciels. Diversité en amont ; domination d'un seul, Microsoft, en aval.


Cette révolution n'a pas encore eu lieu dans le mobile. Chez Microsoft, on attend qu'elle se réalise. La bataille du « smartphone » ne fait que commencer. Ces mobiles se vendent pour l'instant surtout aux urbains fortunés. Demain, ils devront se faire bon marché, s'adapter aux géographies locales, à des réseaux de distribution complexes. Il faudra des volumes importants pour faire baisser les prix. Nokia a toute sa place dans ce monde-là. Même si le géant finlandais doit payer des royalties à Microsoft pour utiliser Windows, il a encore une vraie valeur ajoutée avec ses gammes incroyables de terminaux, la qualité de ses produits et ses réseaux sur le terrain.


A moyen terme, ce modèle économique horizontal pourrait faire vaciller les verticales d'Apple ou de RIM. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Android, la plate-forme de Google, qui est ouverte à tous les constructeurs, a réalisé les meilleurs gains de part de marché l'année dernière. Nokia était également en discussion avec Google avant de choisir Microsoft. Rien ne lui interdit à l'avenir de former une alliance supplémentaire avec le fameux moteur de recherche. On n'a jamais fini de consolider les marches d'un empire.

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