Au moment où les syndicats réussissent une forte mobilisation contre la réforme des retraites, le meilleur défenseur du projet gouvernemental, le ministre Eric Woerth, est mis sur la sellette pour un soupçon de conflit d'intérêts dans une affaire aussi glauque que symbolique.
Eric Woerth, ministre du Travail, est considéré comme l'un des meilleurs ministres actuels. Tout le monde loue sa compétence, sa connaissance des dossiers, sa solidité, sa franchise. Il passe pour un homme honnête, rigoureux et même scrupuleux. Les syndicats le respectent, l'opposition l'estime, même si à l'Assemblée nationale notamment, il peut se révéler pugnace, voire agressif dans les débats.
Des convoitises balzaciennes
En tout cas, il est l'un des trois ou quatre dont le nom circulait avec insistance pour succéder éventuellement à François Fillon cet automne. En privé, Nicolas Sarkozy, qui n'est pas toujours aimable envers les membres du gouvernement, disait grand bien de lui. Si la réforme des retraites passe, Eric Woerth serait considéré comme l'un des principaux artisans du succès. Patratras ! Alors qu'il est à la pointe du combat pour la réforme qui est considérée par tous, partisans ou adversaires, comme le marqueur social du quinquennat et comme l'emblème du volontarisme sarkozien, le voilà rattrapé par la ténébreuse affaire Liliane Bettencourt. La fortune de la femme la plus riche de France fait l'objet de convoitises balzaciennes. Le photographe mondain François-Marie Banier est soupçonné de lui avoir extorqué presque un milliard d'euros. La fille de Liliane Bettencourt considère que sa mère, affaiblie par l'âge (elle est octogénaire et visiblement fatiguée) est sous l'emprise d'un entourage vorace. On multiplie les actions judiciaires, les parties opposées s'envoient du papier bleu et se préparent à s'affronter devant les tribunaux. Les avocats les plus célèbres défendent leurs intérêts. Un majordome indélicat enregistre clandestinement les conversations dignes de dialogues d'un film très noir entre les protagonistes. Parmi les noms échangés reviennent ceux d'Eric et Florence Woerth. L'épouse du ministre travaille en effet depuis 2007 dans la petite cellule chargée de gérer l'immense fortune de l'héritière de L'Oréal, premier fabricant de cosmétiques du monde. Elle est responsable de l'investissement des dividendes perçus sur les actions de L'Oréal. Gestionnaire de fortune, c'est son métier depuis plus de vingt ans. Elle passe pour une bonne professionnelle et ses activités demeurent dans le strict cadre de la légalité. Alors, où est le problème ? Il se trouve, pour commencer, dans l'ambiguïté de sa nomination. Comme Florence Woerth est recrutée en 2007 par le principal gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, son mari est déjà ministre du Budget. Maistre se vante au téléphone de la commodité de cette situation. C'est déjà imprudent, même si à l'époque il n'est pas question d'évasion fiscale. Eric Woerth remet d'ailleurs lui-même la croix de chevalier de la Légion d'honneur à Patrice de Maistre. C'est encore imprudent, puisque cela affiche une familiarité entre le ministre du Budget et l'une des grandes fortunes de France. Par-dessus le marché, Eric Woerth, membre du gouvernement, demeure trésorier de l'UMP. Rien d'illégal mais, au sein d'une République qui se prétend exemplaire, un cumul risqué puisqu'il revient à solliciter de l'argent de contribuables dont on a la tutelle.
Le fameux fichier suisse
Il est bien possible que, s'il s'est ainsi exposé, c'est justement parce qu'Eric Woerth ne pratique pas le mélange des genres et qu'il a parfaitement bonne conscience. N'ayant rien fait d'illégal ou d'immoral, il ne se serait pas cru obligé de renoncer à ses fonctions de trésorier de l'UMP ou de demander à sa femme d'abandonner son travail. C'est la thèse de ses amis et elle est plausible. L'ennui est que les apparences sont très inconfortables. Entre-temps, le fameux fichier suisse a en effet été fourni au fisc français. Trois mille noms y figurent. Une vaste entreprise de vérification, de régularisation et, le cas échéant, de sanctions est mise en œuvre. Eric Woerth change de poste et est promu ministre du Travail mais une partie (d'ailleurs modeste) de la fortune Bettencourt se trouve de l'autre côté du lac Léman. Dès qu'on l'apprend, Florence Woerth démissionne et quitte la cellule de gestion de la fortune Bettencourt. Il n'empêche : le soupçon s'instille. Même si elle n'a rien su, c'est très possible techniquement, la femme du ministre se trouvait sous les ordres de celui qui savait et agissait pour frauder le fisc, celui-là même qui se vantait de ses relations ministérielles.
Sans doute intègre, certainement maladroit
Rien de tout cela ne prouve qu'Eric Woerth ait commis quelque infraction que ce soit mais tout converge pour démontrer son imprudence ou son inconscience. A l'époque de la communication-reine, il ne suffit pas d'être honnête, il faut encore en avoir les apparences. Eric Woerth est sans doute intègre mais certainement maladroit : faute de précautions nécessaires, voire de prudence élémentaire, le voilà aujourd'hui en grande difficulté, et le gouvernement avec lui.
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