Ça y est, la France est à nouveau sur les rails de la réussite, et les réformes sont en cours. Bien sûr, il faut s’accrocher, mais il apparaît certain qu’avec les efforts immenses consentis jusqu’à présent, et les efforts monstrueux qui ne manqueront pas de s’ajouter à ceux déjà réalisés, le résultat sera grandiose et le succès, certain, sera au bout de la route.
Bien sûr, le chômage n’est toujours pas résorbé. Mais ça, c’est su, connu, lu et relu. Passons. Bien sûr, la croissance est en berne, mais c’est déjà intégré dans toutes les feuilles Excel de Bercy. Passons. Bien sûr, l’inflation, sur laquelle l’État compte énormément pour étouffer doucement sa dette, n’en finit pas de bouder, malgré lesannonces fracassantes de Draghi – c’est même la déflation qui est constatéeactuellement. Bon, soit. Mais tout ceci est contrôlé. N’allez pas imaginer que les élites qui nous gouvernent, qui ont fait plein d’écoles importantes avec plein de diplômes compliqués et qui ont passé des concours (dont ceux de circonstance), n’ont pas tout prévu et n’ont pas tout préparé pour tenir compte de ces éléments.
Ne vous inquiétez pas : la trajectoire est connue. Bon. En attendant, il y a des petits nids de poule.
Par exemple, dans les petits chiffres dont la presse discute très peu, et le gouvernement encore moins, on découvre que la vacance des centres commerciaux augmente régulièrement depuis deux ans. Si les experts du milieu se chamaillent pour savoir à combien cette vacance s’établit précisément (on évoque de 3 à 6%), il n’en reste pas moins que le constat, dressé par différents acteurs du marché, n’est pas rose, notamment en ce qui concerne la stratégie employée actuellement par les centres pour se maintenir en vie :
« Une enseigne est obligée de grossir, répond Jean-Luc Bret, président de la Croissanterie. Nous compensons la baisse de rentabilité des points de vente en achetant moins cher et en regardant de près nos frais de personnel. »
Comme quoi, pour baisser la rentabilité d’une société, il n’y a pas besoin de faire appel à Manu Macron. On notera au passage le lien étroit entre cette rentabilité et la masse salariale, ce qui pourrait fournir une piste de réflexion pour ceux qui, au plus haut niveau de l’État chuchote-t-on, entendent combattre le chômage.
Par exemple, les défaillances des très petites entreprises explosent actuellement. Ces très petites entreprises (un ou deux salariés) ont le plus souffert au troisième trimestre 2014 puisque 4.861 d’entre elles – sans compter les auto-entrepreneurs – ont été placées en redressement ou en liquidation judiciaire, soit une hausse de 30% par rapport à la même période de l’an passé. L’explication de ces mauvais chiffres est fournie par Thierry Millon, du cabinet Altares qui a réalisé l’étude aboutissant à ces résultats pas trop folichons :
« Pour ce type d’entreprises, vu la volatilité des affaires et la fragilité des sociétés, il suffit d’une météo défavorable pour la restauration par exemple, ou d’arbitrages de la part des consommateurs à certains moments de l’année pour que les comptes tombent dans le rouge. Une entreprise de un ou deux salariés doit avoir une activité qui lui permette de faire face aux charges fixes. Sinon, tout coup dur peut très vite se traduire par une défaillance. »
Bien sûr, la notion de « coup dur » est vaste, mais comment ne pas penser à ces petits artisans, ces petites entreprises subitement embringués dans un gentil redressement fiscal, une triviale poursuite de l’URSSAF ou du RSI (dont l’amour de la gestion taillée au cordeau est maintenant proverbiale), ou la visite impromptue et gracieuse de l’un ou l’autre collègue de Gérard Filoche, avec la délicatesse et la compréhension qui les caractérisent. N’oubliez pas que l’État et ses administrations ont actuellement un grand besoin de trésorerie, et ratisser les petites entreprises est une méthode efficace : les victimes n’ont pas le temps ni les moyens financiers de traiter les demandes consternantes, ubuesques et kafkaïennes de ces administrations, et finiront assez vite par cracher au bassinet, quitte à calancher. Mieux que ça : ces milliers de petites entreprises sont éparpillées, pas du tout coordonnées et, au contraire de grosses entreprises, ne font pas de bruit lorsqu’elles disparaissent. Politiquement, c’est du velours.
Ce qui est d’ailleurs confirmé par la tendances des petites boutiques à, elles aussi, passer l’arme à gauche. On apprend ainsi que 4.500 magasins d’habillement indépendants ont fermé au premier semestre. Si une partie de ces fermetures doit certainement à la concurrence des grandes chaînes nationales ou internationales, la fragilité du secteur doit aussi beaucoup… à une trésorerie tendue et un chiffre d’affaires en berne. Tensions et rétrécissements d’ailleurs provoqués par les petites giboulées d’impôts et de taxes, tant sur les entreprises que sur leurs clients, et par l’onctuosité naturelle des administrations lorsqu’il s’agit de bien faire comprendre à tout ce petit monde qui commande, qui encaisse, et qui tabasse.
Las.
Malgré ces petites corrections fiscales d’arrière-cour, le budget peine toujours autant à se boucler avec élégance. Alors que le mois d’octobre sera passé assez difficilement, sur fond de bisbilles avec la Commission européenne pas franchement heureuse d’apprendre que les déficits français continuaient de grimper, le mois de novembre se place douloureusement sous les mêmes auspices, alors qu’à nouveau, le déficit budgétaire dérape et affiche un gros 88,2 milliards d’euros joufflu au compteur. Et c’est à l’occasion de la présentation du second projet de budget rectificatif pour 2014 qu’a donc été acté le nouveau dérapage du déficit de l’État, avec 4,3 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu cet été.
Les explications de ce petit détour par les zones humides du bas côté routier sont intéressantes : c’est la faute au méchant « contexte macroéconomique qui pèse de façon conséquente sur les recettes fiscales du budget général », façon pudique pour le ministère des (toutes) petites économies de nous dire que les sous ne rentrent pas aussi bien que prévu (oh, zut alors). La croissance est faible, ma bonne dame, et avec toutes ces entreprises qui refusent de lâcher des thunes, voire qui clabotent en silence, et ces particuliers qui décident bêtement d’être ruinés, même si les taux augmentent, ça nous fait une assiette de plus en plus petite (oh, zut derechef).
Pour contrer ces petits problèmes, rassurez-vous : des solutions existent, elles sont d’une innovation fulgurante, elles ont été testées, elles sont planifiées et seront bientôt appliquées. Respirez un bon coup, tout va bien se passer puisqu’il s’agit de vous taxer à nouveau : et en avant la hausse (de 20% tout de même) de la taxe d’habitation dans les zones tendues (qui vont, vous allez voir, se multiplier généreusement dans les prochaines semaines), et en avant pour la disparition de la déductibilité de certaines taxes ce qui viendra donc alourdir les frais de certains secteurs (bancaire notamment). Franchement, ce serait dommage de ne pas tenter ces augmentations de taxes et ces modifications pas trop subreptices d’assiettes et de taux alors que la conjoncture s’y prête si agréablement, ne trouvez-vous pas ?
L’idée, d’après les petits calculs de Sapin, serait de réduire le déficit public de 3,6 milliards d’euros en 2015. Il faudra bien le croire sur parole, d’autant qu’en matière économique, les performances passées ne présagent en rien des performances futures (même si la constance avec laquelle le petit Michel se fourre le doigt dans l’œil inquiète de plus en plus son ophtalmo).
Vous voyez, pas de souci : à chaque problème politique, on trouvera sa solution dilatoire, et à chaque problème budgétaire, on trouvera sa solution taxatoire, quitte àimposer les impôts.
Le socialisme, vraiment, c’est magique™.
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